Frédéric Le Mouillour Mémorial national des marins morts pour la France

Normandy - Goélette

goelette-NormandyENL
25 juin 1917

Normandy était une goëlette à 3 mâts mise en service aux USA en 1917. Elle avait été achetée aux Etats Unis et jaugeait 543 tonneaux ; elle était armée de 4 canons de 75 mm. Normandy était une goëlette armée, encore appelé « bateau-piège », subterfuge imaginé par l’etat-major de l’armée de mer pour contrer les méfaits des sous-marins allemands, et qui allait se révéler d’une redoutable efficacité. La glorieuse histoire de Normandy résulte de la rencontre fortuite, sur le port de Rouen de deux hommes, le capitaine au long cours Thoumire de Saint Malo et l’enseigne de vaisseau Trinité-Schillemens, histoire brillamment racontée par notre ami Yves Dufeil :

 

DEUX NAVIRES, UN CAPITAINE

Juin 1917

« Face à l'ampleur sans précédent prise par la guerre sous-marine depuis ce début d'année 1917,

les Alliés avaient été de façon encore plus aiguë confrontés à l'inquiétant problème de la protection de leurs navires de commerce. Ainsi, venant s'ajouter aux grenades et aux mines, éventail désormais classique des moyens de lutte contre les U-Boot, était apparue une arme pas vraiment nouvelle mais particulièrement redoutable : le bateau-piège. Ces navires, voiliers ou vapeurs, lorsqu'ils étaient arraisonnés, simulaient une reddition et un abandon du navire, puis ils se démasquaient soudainement et l'équipe de combat demeurée cachée à bord, canonnait à son tour le sous-marin venu en surface. Bien que grossier, le piège fonctionna jusque dans les derniers mois de la guerre.

En ce début d'année 1917, il y avait donc dans le port de Rouen un voilier désarmé et, faute de

mission à lui confier, un capitaine désoeuvré, plein de regrets de ne pouvoir en l'absence de navire,

apporter sa contribution à l'effort de guerre. Le premier était le trois-mâts Normandy que le conflit

avait relégué dans l'arrière-port et le second, le capitaine au long cours Thoumire de Saint Malo qui

avait un compte personnel à régler avec les U-Boot car peu avant, alors qu'il commandait le Bayonne, il avait été attaqué le 17 février devant Cherbourg par l'un de ces loups. Parti de New York le 4 Janvier avec un chargement de mille tonnes de maïs et deux mille trois cents tonnes d'orge, le Bayonne était presque au terme de ce voyage qui devait le conduire à Ipswich lorsque vers quatre heures de l'après-midi le 17, la forme noire et sinistre d'un sous-marin avait fait surface sur l'avant de son navire. L'Allemand tira un coup de semonce pour obliger Thoumire bien obligé de s'exécuter, à mettre en panne. Lorsque le trois-mâts fut stoppé, une partie de l'équipage allemand monta à bord, pilla les vivres et ordonna aux marins français d'évacuer le navire qu'ils allaient couler. Une fois de plus, la mort dans l'âme, il fallut bien obéir tandis que les sous-mariniers plaçaient les bombes à retardement destinées à couler le voilier. Quelques minutes plus tard, Thoumire et son équipage, le coeur serré, voyaient le majestueux Bayonne frémir, projeter des débris en l'air, se coucher puis disparaître dans les flots alors que le grondement des explosions roulait encore à l'horizon. Le sous-marin plongea, laissant les naufragés faire route à la voile vers la côte anglaise qui était la plus proche. A l'aube du 18, ils atteignaient Lyme Regis sains et saufs.

On imagine avec quelle rancoeur, en ce soir de mai, dans un café du port, Thoumire pouvait songer à son bateau perdu en vidant tristement son verre. Mais, il était écrit que justement ce soir là, une rencontre devait changer le cours des choses lorsque le jeune et bouillant enseigne de vaisseau

Trinité-Schillemens vint s'attabler à côté de lui. L'officier qui sortait tout juste d'un cours durant lequel il avait appris à conduire une équipe de marins canonniers destinée à armer un bateau-piège, brûlait d'en découdre avec l'adversaire. Sa brigade avait pour nom 3ème spéciale. Seul problème, il fallait un bateau au jeune lieutenant. Les deux hommes ne pouvaient que s'entendre ! Alors, Thoumire lui révéla l'existence du Normandy qu'il se proposait de commander et, se mettant à l'oeuvre chacun de leur côté, ils obtenaient en quelques jours l'autorisation de réarmer le trois-mâts en navire de lutte contre les sous-marins...

A la mi-juin, tout est prêt. Thoumire a de nouveau un navire et un équipage plus une équipe

décidée de robustes gaillards sous les ordres de Trinité-Schillemens. Dans le plus grand secret, la 3e spéciale a embarqué la nuit précédente. Enfin, le 23 Juin, c'est le grand jour. Halé par un remorqueur, le Normandy descend la Seine jusqu'au Havre d'où il appareille pour Swansea. Thoumire en qui brûle le feu de la vengeance de son Bayonne, espère bien que chemin faisant, ils rencontreront l'un de ces damnés U-Boot...

Avec Schillemens, il étudie encore une fois le plan qui doit leur permettre de réussir et dont le

scénario est déjà arrêté dans ses grandes lignes. Misant sur le fait que les sous-marins ne gaspillent généralement pas une torpille pour un voilier, le Normandy se laissera arraisonner sans opposer de résistance et l'équipage conduit par le Second qui fera office de Capitaine évacuera précipitamment le navire tandis que Thoumire et la brigade de Schillemens resteront camouflés à bord jusqu'à ce que le sous-marin soit en bonne position pour que les canonniers puissent ouvrir le feu sur lui. Alors, le Normandy se démasquera et attaquera. Mais, il faudra faire vite pour faire très tôt la différence, car les Allemands ont un canon eux aussi et ils savent s'en servir !

25 Juin, six heures du matin. Tout en discutant avec Trinité Schillemens, le Capitaine Thoumire porte le point sur la carte. 35 milles par le travers des Casquets, cap Ouest-Nord Ouest. - Regardez lieutenant, en continuant sur ce cap, nous atteindrons dans deux heures le point ou a été coulé mon Bayonne ! Avouez que ce serait étrange si nous rencontrions un sous-marin à cet endroit ! En effet ! Mais étrange ou non, le hasard en a décidé ainsi.

Il est 7 heures 20 lorsque soudain deux explosions déchirent l'air. Deux gerbes d'eau s'élèvent

sur l'avant du voilier. A deux milles de là, un sous-marin en surface vient de tirer les coups de

semonce. Thoumire tressaille... L'heure de la vengeance viendrait-elle déjà de sonner ? Phares

masqués, le voilier met en panne. Un radiogramme laconique informe marine Cherbourg de l'attaque du Normandy par un U-Boot au point 50°15 Nord, 2°10 Ouest. Le dispositif est enclenché. Cinq minutes plus tard, le trois-mâts a amené son pavillon en signe de reddition tandis que l'équipage prend place dans les canots qui débordent aussitôt. Sur le pont du navire en apparence déserté, les canonniers de la troisième spéciale s'affairent et le jeune enseigne commence déjà à télémètrer l'objectif. Mais soudain, voici que le submersible ennemi s'enfonce et disparaît sous la surface. Que va-t-il faire ? Contrairement à l'habitude, va-t-il torpiller le voilier ? Les gorges sont serrées et certains même prient en guettant le sillage mortel qui pourrait bien les expédier vers un autre monde... Personne ne bouge ni ne dit mot. Le sous-marin approche encore. Il n'est plus qu'à une cinquantaine de mètres du Normandy ; trop près pour lancer une torpille. En fait, il est si près que derrière leur camouflage, Trinité-Schillemens et ses hommes voient l'objectif du périscope fouiller la mâture et le pont du trois-mâts. Lentement, il passe devant le navire, le contourne, passe une seconde fois... L'animal a-t-il flairé le piège ? Chacun espère qu'il n'en est rien car s'il a découvert quelque chose, il va les torpiller sans hésiter. Non ! Il n'a rien découvert ! et le voici qui s'éloigne toujours en immersion vers les canots. Un sourire de soulagement éclaire les visages.

Huit heures quarante cinq. Voila plus d'une heure que dure le manège et les nerfs des hommes sont tendus à l'extrême. Enfin ! Il fait surface ! C'est un UB. Il met le cap sur les canots tandis que son équipage apparaît sur le pont. Au télémètre, Trinité-Schillemens mesure soigneusement. - Attention pour les couleurs ! annonce-t-il au timonier Pencréac'h qui tient entre ses mains la drisse sur laquelle est frappée l'étamine tricolore. Calmement, le timonier attend l'ordre. - Hausse 500, dérive 48 ! Les pointeurs affichent les éléments de tir sur leurs pièces de 75. Dans quelques secondes, l'action va commencer, mettant enfin un terme à l'insoutenable tension de l'heure écoulée. Mais voici que tout-à-coup, les canonniers allemands se précipitent sur leur pièce. Ont-ils aperçu quelque chose ? Sans doute la lentille du télémètre, qui aura renvoyé un éclat. - Bas les masques ! Commencez le feu ! hurle le lieutenant.

Instantanément, les panneaux s'abaissent, dévoilant les affûts. Appuyé par le premier coup de

75, le pavillon est hissé à bloc. Presque aussitôt deux nouvelles déflagrations retentissent. Est-ce

l'armement de la première pièce qui a déjà rechargé ? Hélas non ! C'est un obus allemand qui vient

d'exploser près de l'écubier et dont le souffle de l'explosion renverse Thoumire qui se relève aussitôt en cherchant des yeux Trinité-Schillemens. Bon Dieu ! Le lieutenant gît sur le dos sur un panneau de cale où il a été projeté. Son ventre n'est plus qu'une plaie béante de laquelle s'échappent des flots de sang. Ses yeux que la mort commence à voiler regardent fixement la mâture. Mais ce n'est pas encore le moment de pleurer et Thoumire prend le commandement à la suite du jeune officier.

- Plus près 100 ! Continuez le feu ! C'est un duel à mort qui vient de s'engager entre les deux adversaires. Les marins français avec une force décuplée par la rage et la soif de vengeance, tirent à une cadence infernale. Une odeur âcre de poudre envahit le pont.

Soudain, deux obus explosent en plein kiosque, puis un troisième qui fait jaillir une immense langue de feu du capot. L'objectif étant masqué par la fumée, le tir ralentit mais, lorsqu'elle se dissipe, entraînée par le vent, le sous-marin apparaît alors enfoncé par l'avant avec une pointe de quarante degrés. Seuls, l'arrière et les hélices émergent encore. - Feu à couler ! hurle Thoumire. Dix neuf coups de canon claquent et le submersible, sa coque criblée d'éclats, disparaît dans les profondeurs. Les deux morts sont vengés ! Oui, deux morts car le timonier Pencréac'h, affreusement blessé vient d'expirer à son tour. Le pavillon qu'il venait de frapper sera son linceul. Les canots regagnent le bord et Thoumire fait servir.

Pavillon en berne, cap sur Cherbourg ! »

© Yves DUFEIL – 1974

Sources :

Sources : Dictionnaire des bâtiments de la flotte de guerre française Tome 2 – 1870-2006
Memorial Gen Web
Forum 14-18

ecole.nav.traditions.free.fr/officiers.

forum.pages14-18.

 

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