Michel Pierre SAUVAGE
est né le 18 avril 1913 à Gravelines (Nord (59))
C’est le premier enfant vivant d’Auguste Henri Sauvage, capitaine au long cours, et de son épouse Adèle Vampouille. Le 29 janvier 1912, le jeune couple a eu la douleur de perdre un bébé âgé de moins de 3 mois, Henri. Ils résidaient à cette époque à Calais, où Auguste a débuté sa carrière de marin. Le couple habite désormais à Rouen, nouveau port d’attache d’Auguste, et Adèle a préféré revenir à Gravelines (59) auprès de sa maman pour mettre au monde le petit Michel : un mari marin n’est pas toujours présent.
L'enfant va sur ses trois ans quand lui naît un petit frère, Raymond, le 6 février 1916. Des collègues du papa, qui habitent dans le voisinage, signent l'acte de naissance. La famille habite à cette époque au 81 avenue du mont Riboudet. Cette longue avenue qui constitue aujourd'hui un accès à l'autoroute tire son nom du mont Riboudet voisin, qu'a peint Monet en 1872. Située rive droite, elle est voisine de la Seine et du port : après de longues années de navigation au long cours en tant que capitaine, le chef de famille est devenu aspirant pilote de Seine en 1915. Il sera titularisé trois ans plus tard, 56 mois après son arrivée à Rouen, devenu à cette époque premier port de France, et grande base arrière de la "British Expeditionary Force" (BEF).
Le 3 juillet 1919, la famille accueille un autre garçon, André, futur capitaine au long cours, alors que Michel, âgé de six ans, se prépare à entrer à l'école élémentaire.
A-t-il été scolarisé auparavant ? A cette époque, l’école maternelle telle que nous la connaissons aujourd’hui n’existait pas encore, il s’agissait essentiellement d’accueillir les enfants avant de démarrer les apprentissages.
Peut-être Michel a-t-il fréquenté l’école Benjamin Franklin, située 55 rue Constantine ? Une dizaine de minutes seulement séparent son domicile de l’école.
La journée y débute avant 8h, par une inspection de propreté renouvelée l’après-midi, suivie de l’instruction morale. Comme aujourd’hui, apprentissage de la lecture et explication du texte fonctionnent en parallèle, mais, il faut le reconnaître, le temps consacré à l’écriture est nettement plus long. L’après-midi est réservé aux apprentissages mathématiques, aux sciences naturelles ou à l’histoire géographie. A 16h, c’est l’heure de la sortie.
En compagnie de ses camarades, le petit Michel regagne le logis familial, où il effectuera son travail personnel, certainement dans une ambiance studieuse.
On peut toutefois penser que le travail terminé Michel et ses frères rejoindront leurs camarades dehors pour de belles parties de jeux en plein air.
Mais à la rentrée 1925, alors qu’il a fêté ses douze ans, sa vie prend un tour nouveau : il est admis en classe de 5ème au prestigieux lycée Corneille, dans le centre de Rouen. Destiné à l’élite rouennaise, cet établissement quadricentenaire, porte d’abord le nom de collège de Bourbon, et est dirigé par les Jésuites. Collège royal, Ecole centrale, il accueille jusqu’à 2000 élèves en 1662 et sera l’un des 17 premiers lycées fondés par Napoléon en 1803. Etablissement royal ou national au gré des changements politiques, il devient le lycée d’état Corneille en 1873 : Pierre Corneille y a été scolarisé, ainsi que ses frères. De Flaubert, qui a emprunté au collège royal des éléments que l’on retrouve dans « Madame Bovary » ou « Un cœur simple », à Thomas Pesquet, plus contemporain, cette institution renommée compte au rang de ses anciens des célébrités normandes, bien sûr, mais aussi de la métropole et de l’Outremer ainsi que de l’étranger, dont les parents, appartenant à l’élite marchande ou diplomatique, choisissaient de scolariser leurs enfants dans le meilleur lycée de Normandie.
Le changement est grand pour Michel, habitué à l’école de son quartier : environnement différent, proximité différente. A pied, il faut à l’enfant une quarantaine de minutes pour gagner son lycée, situé dans le centre-ville.
Peut-être suivait-il les quais jusqu’à la rue Jeanne d’Arc qu’il remontait avant de prendre à droite la rue Thiers pour rejoindre la place de l’hôtel de ville, et, de la rue Louis Ricard, atteindre le portail du lycée, élevé sous le règne de Louis XIII ?
Il pouvait aussi emprunter le boulevard des Belges puis la rue de Crosne pour arriver place du Vieux Marché, et, en déambulant dans les rues médiévales de la vieille ville accéder au lycée par la place ouverte devant l’établissement en 1851.
A moins qu’il ne choisisse un parcours plus rapide, mais moins riche d’histoire ?
Est-ce pour rapprocher l’enfant de son prestigieux établissement que la famille Sauvage quitte l'avenue Riboudet après le recensement de 1926 pour habiter au 84 rue Chasselièvre dans un secteur baptisé "cité des pilotes" ? Le recensement suivant indique en effet cette nouvelle adresse.
L’adolescent s’implique dans son travail, ainsi que le montrent les prix attribués en fin d’année scolaire. S’il n’est pas le premier, il est nommé chaque année, et figure donc dans le peloton de tête d’un groupe de niveau de plus de 200 élèves. Certains d’entre eux l’accompagneront jusqu’à la fin de sa scolarité secondaire.
Il est d’abord externe, mais son statut change à la rentrée 1929 lorsqu’il aborde la classe de première. C’est comme interne qu’il accomplira les deux dernières années. On peut penser qu’il souhaitait un soutien que ses parents ne pouvaient plus lui accorder, peut-être aussi s’assure-t-il ainsi des plages de travail bien encadrées.
Les internes bénéficiaient en effet d’études surveillées, et pouvaient sans doute se faire aider au besoin.
En 1918 est née la section norvégienne, aujourd’hui alerte centenaire, qui reçoit pour la préparation au baccalauréat de jeunes étudiants norvégiens, brillants, qui contribueront ensuite au développement de leur pays.
Comme Michel Sauvage, ils sont internes.
Durant la guerre, certains d’entre eux rejoindront la RAF, y laissant parfois la vie. L’un d’eux, fait prisonnier, a tenté cette grande évasion qui a inspiré le film de John Sturges, film dans lequel joue Steve Mac Queen.
En août 1932, Michel Pierre, suivant avec décision l'exemple paternel, se dirige vers la Marine marchande et devient élève officier, sans doute après un an de préparation à l’Ecole supérieure de commerce, où il aura développé sa pratique de la langue anglaise.
En 1935, après trois ans de formation, et différentes affectations, notamment le M/S "Malgache", propriété de l'Union Maritime, puis le paquebot "Normandie", appartenant à la Compagnie générale transatlantique, le jeune étudiant voit ses études couronnées par l'obtention d'un brevet concernant les théories de la navigation.
Le 15 décembre 1936 il est promu lieutenant au long cours de la marine marchande.
Il a certainement bénéficié, pour accomplir ses études, d'un sursis qui a pris fin le 14 octobre 1935, date de son incorporation en tant que matelot de 2de classe sans spécialité. Il fait partie des classes dites creuses, pour lesquelles le service militaire, après avoir vu sa durée diminuer, est d'une durée de deux ans.
Pendant cette période, il a embarqué pour six mois à bord du cuirassé "Condorcet", devenu navire-école, et à bord duquel ont embarqué des officiers tels que le commandant François Drogou ou Jean-Yves Cousteau, puis du cuirassé "Lorraine", du cuirassé "Bretagne", six mois à nouveau, et enfin du contre-torpilleur "Tigre" pour une période d'une année.
Après cette date, il regagne la marine marchande, et embarque à bord du pétrolier M/S "général -Gassouin", bâtiment rouennais de la Compagnie auxiliaire de navigations construit en 1926 qui se consacrera par la suite au service France-USA.
Il naviguera essentiellement sur ce navire, ainsi que sur le S/S "Rouennais" et le S/S "Brestois", appartenant à l'Union maritime.
Mais la situation en Europe s'est tendue. Le 1er septembre, l'Allemagne envahit la Pologne. Le 2 septembre 1939, le réserviste Michel Pierre Sauvage, qui a quitté la marine avec le grade d'Enseigne de vaisseau, est mobilisé. Le 3 septembre, la France est en guerre.
Après trois mois passés à la direction du port de Cherbourg, Michel Sauvage gagne Le Havre, d’où il embarque en tant qu’officier en second à bord du "Pomerol", cargo réquisitionné et armé en patrouilleur auxiliaire, le P25.
En juin, l’armée française est en difficulté. Mis en minorité, Paul Reynaud est remplacé le 17 octobre par le maréchal Pétain, favorable à une demande d’armistice.
Le jeune officier Michel Sauvage, affecté à la 3è escadrille de patrouilleurs auxiliaires, escorte le 18 juin 1940 le torpilleur "Ouragan" jusqu’à l’arsenal de Devonport.
Le 22 juin, l’armistice est signé et les marins qui patrouillaient en Manche sont placés en congés d’armistice.
Le 3 juillet, le "Pomerol" est saisi par les Britanniques.
Michel Sauvage déjà à Plymouth depuis fin juin choisit alors de rester combattre sur le sol anglais et s’engage aussitôt dans la Royal Navy comme sous-lieutenant.
Il embarque d’abord sur le câblier "Emile Baudot", également réquisitionné par la Royal Navy, qui fait à la fois office de patrouilleur auxiliaire et de cablier.
Le 8 octobre, le jeune officier est promu lieutenant et navigue 6 mois à bord du cargo "Pessac", patrouilleur auxiliaire armé et également saisi par les Britanniques, qui sera gravement avarié par les Allemands lors d’un bombardement en avril 1941.
A Plymouth, où il réside désormais, il a rencontré la charmante Beryl Turner, dont la famille tient un hôtel qui sera réquisitionné pour les militaires. Elle a été séduite par les yeux bleus du Frenchy, il a aimé son sourire et son dynamisme.
Ils se voient
Ils se revoient...
Les deux jeunes gens se marieront le 6 mars 1941.
Après le "Pessac", le lieutenant Sauvage assure le commandement de la vedette HMS "Black Arrow" jusqu’à la fin janvier 1942, avant de rallier la France libre en février de la même année. Il embarque alors à bord de la "Melpomène", puis du "Savorgan de Brazza", avant de passer six mois à la caserne "Bir-Hakeim" à Londres, dépôt des FNFL où ont été formés de jeunes volontaires. Peut-être Michel Sauvage a-t-il contribué à leur formation.
Le 15 mars 1943, il prend le commandement du CH5, ou chasseur "Carentan", navire récent mais de 100t seulement dont la mission est d’escorter des sous-marins. Mis à l’eau en 1939, saisi par les Anglais en 1940, le navire vient d’être rendu aux FNFL au début du mois de mars 1943.
Ce 21 décembre 1943, en dépit d’une forte tempête de suroît, le "Carentan" a courageusement pris la mer pour accompagner le sous-marin HMS "Rorqual". Trop léger pour faire face aux éléments déchaînés, il engage mer de l’arrière alors qu’il se trouve près de l’île de Wright, et coule aussitôt. Sur les 24 membres de l’équipage, il n’y aura que 6 survivants.
Le commandant Michel Pierre Sauvage est porté disparu.
Il laisse dans la douleur sa jeune veuve, Beryl Frances Evelyn Turner. A-t-elle eu le temps de lui annoncer la belle nouvelle ?
Le 10 août 1944 naîtra Michel Sauvage appelé Mike. L’enfant a le prénom et les yeux de son papa. Devenu adulte, il deviendra marin à son tour, officier de la Royal Navy, et la ressemblance entre le père et le fils au même âge est frappante.
Quelle fierté aurait été celle de Michel Sauvage, s’il avait pu suivre la carrière de son fils !
Le chasseur 5 a reçu la citation suivante à l’ordre du Corps d’armée : « Sous le commandement du lieutenant de vaisseau de réserve Sauvage a effectué de nombreuses patrouilles en Manche et mer du Nord au cours de l’année 1943. A disparu en mer le 21 décembre 1943 entraînant avec lui son commandant et tout son équipage ».
Par décret du 10 octobre 1946 (JO du 3 novembre 1946) le lieutenant de vaisseau Sauvage a été nommé chevalier de la Légion d’honneur avec la citation suivante : « Commandant le chasseur 5 "Carentan" a trouvé une mort glorieuse sur la passerelle de son bâtiment en Manche le 21 décembre 1943 en faisant front à l’ennemi ».
Il n’avait que 30 ans.
Le 8 mars 1949 l’ambassadeur de France à Londres, René Massigli, lui-même ancien FNFL, remettra au fils les décorations du père. Une photo représente l’enfant, qui n’a pas encore 5ans, arborant des médailles presque aussi lourdes que lui. Dans ses bras, « a french sailor doll », une poupée vêtue en marin, qui arbore une croix de Lorraine brodée sur sa veste.
Symbole paternel, elle n’a jamais quitté Mike Sauvage.
A ce jour, 80 ans après sa mort, le nom de Michel Pierre Sauvage alias Sampson ne figure encore sur aucun monument aux morts, pas même sur celui du lycée Corneille à Rouen.
Merci à Fabrice Sajous, professeur d’histoire et responsable patrimoine au lycée Corneille de Rouen, https://corneille-rouen.lycee.ac-normandie.fr/ ainsi qu’aux différents services de la ville de Rouen.
- Légion d'Honneur (chev.)
- Croix de Guerre 39-45 avec palme (s)
- Médaille de la Résistance