Jean BUATOIS
est né le 27 août 1919 à Fraisans (Jura (39))
C’est le sixième enfant de Claude, 46 ans, chaudronnier, et d’Anne Métrey 44 ans, son épouse. Originaire de Saône et Loire, Louhans pour lui, Châlons-sur-Saône pour elle, le couple a d’abord habité Châlons, où sont nés les deux aînés, André, en 1897, Louis, en 1900.
Le recensement de 1906 les retrouve à Fraisans, rue du bac. Ce petit village franc-comtois de 2 379 âmes (1906) situé sur les rives du Doubs, dans le nord du Jura, à mi-chemin entre Dole et Besançon, détient une des plus grandes forêts de France, la forêt de Chaux ; mais il est surtout connu, à l’époque, pour ses forges : à l’occasion de la construction de la tour Eiffel, 2200 t de poutrelles y ont été fabriquées, chargées sur des péniches circulant sur le Doubs, principal affluent de la Saône. Ces forges ont employé jusqu’à 1500 ouvriers, et contribué à la réalisation de ponts et viaducs, gares… à structure métallique.
En 1908, naît Marcelle, l’unique fille de la famille, qui aura toujours une grande affection pour son jeune frère Jean.
Claude Buatois a-t-il participé aux élections de 1908 ? Dans un contexte national assez tendu, cette année-là voit le parti des forges, en place depuis l’origine des temps, détrôné par le parti radical.
Peu après, la famille quitte la commune pour Le Pouzin, en Ardèche. Situé sur la rive droite du Rhône, entre Valence et Montélimar, Le Pouzin est une des principales portes de l’Ardèche, et le site est connu depuis la préhistoire. Les Romains y construiront un pont sur l’Ouvèze, que l’on visite encore aujourd’hui.
En 1908, c’est un site industriel important qui comprend différentes fonderies. Le minerai de fer était transporté par chemin de fer, et Claude Buatois, chaudronnier traceur, a pu en vérifier l’état, contrôler les aiguillages. Ou alors, peut-être a-t-il contribué à assurer la sécurité des passages sur le pont suspendu au-dessus du Rhône, dont le tablier était constitué de poutrelles métalliques. Le pont était propriété de l’Etat depuis 1886.
En 1909, la famille accueille au Pouzin son quatrième enfant, Gabriel. Les témoins de sa naissance sont des voisins : la famille s’était bien intégrée.
Cependant, après l’incendie qui les a ravagées en 1910, une année terrible, les forges sont reconstruites et la famille retrouve Fraisans : au recensement de 1911 elle y est domiciliée rue des séries, côté Doubs. La pente du Doubs est propice à la création d’énergie, et dès le début du siècle les barrages hydroélectriques sont nombreux sur la rivière. A Fraisans, où une première centrale électrique a été construite près de la vieille forge, et une seconde en 1914 près de la nouvelle forge, on fabrique des tubes pour les barrages.
Ce travail de précision relève des compétences du traceur.
Comme d’autres corps de métiers, les chaudronniers se déplaçaient munis d’un carnet professionnel, où figuraient leurs différentes expériences et réalisations, et les déplacements professionnels étaient l’occasion d’y faire figurer de nouvelles qualifications.
L’année 1916 voit la mobilisation du fils aîné, André, en janvier, et la naissance de Claude Lucien, cinquième enfant, quatrième garçon, le 5 mai, à Fraisans, où la famille a résidé durant la Première guerre mondiale. Les Forges ont connu à ce moment-là un certain regain d’activité.
André sera démobilisé courant 1919, quelques mois avant la naissance le 27 août du petit Jean, sixième enfant de la famille Buatois. Vingt-deux ans séparent les deux frères !
Mais le bébé ne connaîtra pas longtemps les rives verdoyantes du Doubs : la famille quitte bientôt la Franche-Comté pour la Lorraine.
En 1921, la famille est recensée à Longuyon, dans le pays de Longwy en Meurthe et Moselle, près de la frontière belge.
Elle y réside rue de la Platinerie, du nom de l’une des dépendances des Forges. Le métal y était réchauffé, battu au martinet, afin d’obtenir des barres carrées ou plates de plusieurs mètres de long, appelé fer platiné, d’où le nom de platinerie donné au bâtiment. La platinerie permettait de travailler le métal brut, mais aussi de récupérer et réutiliser des restes de métal. Achetée par un industriel au début du 20ème siècle, pillée par les Allemands durant la guerre, la Platinerie est rachetée en 1920 par la grande Chaudronnerie lorraine.
Longuyon, envahie et ravagée dès 1914, occupée durant 4 ans, a beaucoup souffert de la guerre. Ses maisons brûlées ne sont plus qu’un amas de pierres. Elle recevra d’ailleurs la croix de guerre «pour sa vaillance et les lourds sacrifices consentis afin d’assurer la victoire». En 1921, la ville se consacre à sa reconstruction. Le centre ferroviaire a été bombardé en 1918, et Longuyon est un important carrefour ferroviaire, indispensable à la circulation du minerai et du charbon qu’il convient de moderniser. Les chantiers susceptibles de concerner Claude Buatois étaient certainement nombreux.
Comment le petit Jean a-t-il vécu à Longuyon ?
La composition de la famille a changé. André s’est installé en région parisienne, a fondé sa propre famille. Louis est parti accomplir son service militaire.
Ce sont désormais Marcelle 13 ans et Gabriel 12 ans, les deux aînés. Claude Lucien a 5 ans, il entrera bientôt à l’école élémentaire. Quant à Jean, le petit dernier, il trottine à la suite des grands, commence à converser avec eux.
Mais le petit dernier ne l’est bientôt plus. Jean le Francomtois a 2 ans quand naît René, son petit frère lorrain, futur compagnon de jeux. Leur séjour dans cette région rurale et boisée ne va toutefois pas se prolonger longtemps.
Ils l’ont en effet quittée avant le recensement de 1926, certainement pour Mondelange, en Moselle, puisque Marcelle y épouse Jean-Baptiste Burlot, domicilié à Saint-Denis, le 8 février 1929.
Située à une soixantaine de kilomètres au sud-est de Longuyon, Mondelange, au sud de Thionville et à une vingtaine de kilomètres au nord de Metz, a été occupée dès l’âge du fer. Au moyen-âge, elle fait partie du Luxembourg. En 1812 elle compte moins de 200 habitants, et est rattachée à la commune voisine de Richemont par commodité administrative. Comme toute la Moselle, elle est annexée par l’Allemagne, en tant que Mondelingen. Elle redevient Française lors du Traité de Versailles en 1919, et, en 1921, est reconnue comme commune indépendante.
C’est une commune rurale qui va voir sa population grimper en flèche grâce au développement de la sidérurgie.
L'usine Thyssen, une des plus modernes et des plus importantes d'Europe en 1912 a vu ses activités ralenties durant la Première guerre mondiale. En 1918, elle est mise sous séquestre, et le site Saint-Benoît d'Hagondange est repris au sein de l'UCPMI, l'Union des Consommateurs de Produits Métallurgiques. C'est une association de clients de la sidérurgie, créée en 1920 à l'initiative de la firme Renault, qui voit là une occasion de peser sur les prix du marché.
L'usine d'Hagondange va se développer considérablement en plusieurs sites (construction d'une importante cokerie, creusement du canal des mines de fer de la Moselle), et Mondelange, qui accueillera l’un d’eux, va en profiter. Un nouveau quartier, "Nouveau Mondelange", voit le jour. Entre 1920 et 1930, la commune doit faire face à une pénurie de logements, consécutive à l'afflux de main-d'œuvre ouvrière, venue de tout le grand Est ainsi que des pays voisins, comme l'Italie. La construction va bon train ; qui peut ajouter un étage à sa maison loue. Une entreprise va jusqu'à acquérir des wagons, et à les aménager en logements, rue de la gare.
Jean, qui a auparavant vu Longuyon retrouver figure urbaine, va vivre dans une ville en mouvement permanent, côtoyer des enfants d'origines différentes. Lui et son frère René n’y manqueront pas d’amis !
Il a maintenant l'âge de l'école élémentaire.
L'école de Mondelange est sous régime concordataire, et l'enseignement religieux fait partie du programme. Le public est divers, et les différentes religions sont représentées.
Obligatoire à partir de la sixième année, l’école a pour objectif le développement intellectuel, physique, et moral, de l’enfant.
L’école n’est pas mixte, garçons et filles sont séparés, mais l’enseignement général est identique. La différence porte sur l’entraînement militaire pour les garçons, alors que les filles se forment aux travaux d’aiguille, la couture essentiellement, mais cela ne joue guère que sur une heure hebdomadaire.
L’entre-deux-guerres voit l’arrivée de nouvelles méthodes, comme la pédagogie Freinet, fondée sur l’expérimentation et l’entraide entre les écoliers.
La progression concentrique, qui pouvait donner aux enfants l’impression de rabâcher, laisse la place à des méthodes plus progressives : on élague un peu, en veillant à l’acquisition des données, avec consolidation chaque fois que cela est nécessaire, mais sans rabâchage.
Jean entre en section préparatoire quand «l’école unique» voit le jour : les écoles élémentaires, qu’elles dépendent ou non d’un lycée, ont le même programme. Les matières qui nécessitent le plus d’attention sont placées le matin, et l’on veille à varier les exercices de façon à ne pas fatiguer inutilement l’enfant, qui doit venir à l’école avec joie.
Dans cette classe, le plus important est l’apprentissage de la lecture : 10h sur les 30 h hebdomadaires. De sa maîtrise dépendra l’accès de l’enfant aux autres disciplines.
Viennent ensuite le cours élémentaire, le cours moyen, et le cours supérieur. Les premières disciplines sont approfondies, l’histoire et la géographie, les sciences, viennent s’y ajouter.
A cette époque, la scolarité obligatoire se termine à 13 ans.
Bien des enseignants souhaitent qu’elle soit prolongée jusqu’à 14 ans, mais cette mesure ne sera prise qu’en 1936.
Lorsqu’il quitte Mondelange, probablement à la fin de l’été 1932, pour Jean, l’école est finie.
André, le fils aîné, Marcelle et son époux Jean Baptiste, sont domiciliés à Saint-Denis.
Connue pour la Basilique qui abrite les tombeaux des rois de France, Saint-Denis s’est d’abord développée autour de cette basilique. Lieu de passage entre Paris et le nord de l’Europe, elle a longtemps accueilli une des foires les plus connues d’Europe, la foire du Lendit.
L’arrivée du chemin de fer, le creusement du canal, entraînent le développement de la ville, où s’installent les entreprises nouvelles. Après la Première guerre mondiale, à laquelle Saint-Denis a payé un lourd tribut, beaucoup de provinciaux ou d’étrangers viennent y chercher du travail.
La crise de 1929 rend difficile la vie de la population ouvrière et retarde sans doute un peu le regroupement de la famille Buatois.
Pourtant, en 1932 la famille se rassemble à Saint-Denis, qui compte à cette époque plus de 80 000 habitants. Claude Buatois et les siens sont domiciliés au 44 boulevard Ornano, tout près de la famille d’André, qui habite depuis déjà un certain temps au 145 du même boulevard, presqu’en face. La population y est nombreuse.
Le boulevard, situé entre le carrefour Pleyel et Saint-Ouen, a été ainsi nommé en souvenir de Philippe Antoine d’Ornano, qui, après une brillante carrière sous l’Empire, accompagna Napoléon jusqu’à l’île d’Elbe, et, exilé par les Bourbons, devint Maréchal de France sous Napoléon III. Assez proche de la Seine, ce boulevard voisine aujourd’hui avec le stade de France.
Jean n’accompagnera pas René à l’école Anatole France, qui aujourd’hui encore arbore la fresque en céramique réalisée en 1906.
Avec Claude Lucien, déjà ouvrier en sidérurgie à Mondelange, il franchit les portes de l’usine Sulzer le 3 octobre 1932, à 13 ans. Entreprise suisse d’ingéniérie et de fabrication industrielle, Sulzer créée en 1918 à Saint Denis la compagnie de construction mécanique Sulzer, qui fabrique des moteurs Diesels. Viennent s’y ajouter après 1928, date de l’enquête d’utilité publique, des dépôts de liquides inflammables, garages, chaudronnerie, forgeage, fonderie.
La compagnie fabriquera aussi des groupes électrogènes destinés à la ligne Maginot.
D’abord tuyauteur cuivre, Jean devient apprenti chaudronnier, et le salaire qu’il a perçu en 1932 se monte à 280 francs. En 1933, il est de 1795 francs. En 1934, il est post apprenti et a perçu 3052,60 francs. Comme son frère à la compagnie sidérurgique de Hagondange, il verse des cotisations sociales pour sa retraite, par capitalisation semble-t-il.
Ce capital est aliéné lorsqu’il quitte l’entreprise le 4 septembre 1939, pour «service militaire». Il est certainement apprécié par l’entreprise, qui envisage déjà de le revoir dans ses locaux lors d’une permission déjà notée, supprimée par la suite : il ne fait plus son service militaire, il est mobilisé.
Quels ont pu être les loisirs de Jean lorsque son travail lui laissait un peu de répit ? S’il est peu probable qu’il ait pu bénéficier des colonies à Berck que proposait la commune de Saint-Denis à ses petits administrés, il a en revanche eu la possibilité de faire partie de l’équipe de rugby ou de l’équipe de football, de pratiquer le cyclisme ou d’applaudir les différents spectacles proposés.
Il aura peu de temps pour saluer famille et amis : le 7 septembre il est incorporé au 2ème dépôt, à Brest, Finistère, comme matelot de 2de classe. Il aura 2 mois et 11 jours pour se préparer à embarquer, et se former comme mécanicien.
Une photo en pied le montre devant l’école de mécaniciens. Sérieux sans être grave, l’air réservé, il se tient droit devant ce grand bâtiment, dont une porte est encore debout aujourd’hui à Brest, près de la rue de Siam. Il a revêtu l’uniforme du matelot, et son bachi porte l’inscription «Marine nationale».
La photo a-t-elle été prise lors de son arrivée ? Il avait fait très beau, cet été-là à Brest. Le tournage du film «Remorques», débuté en juillet, s’était finalement poursuivi en studios à Paris parce que le scénario prévoyait des tempêtes, et que le ciel restait obstinément bleu.
Ni Jean Gabin, ni Jean Buatois n’arpenteront longtemps les rues brestoises.
Le 12 novembre, Jean, breveté mécanicien, embarque à bord du sous-marin "Achille", en service depuis 1933, qui fait partie de la seconde Escadrille de sous-marins avec le "Casabianca", le "Pasteur" et le "Sfax". Ce sont des sous-marins de classe 1500t, propulsés par deux moteurs diesels et deux moteurs électriques, prévus pour des croisières océaniques.
Le 14 novembre, ils reçoivent l’ordre de gagner Halifax où ils arrivent le 25, en dépit d’une mauvaise météo.
Après avoir avoir escorté trois convois depuis Halifax jusqu’en Grande-Bretagne, en compagnie de 3 sous-marins anglais, la division, mise à disposition à partir du 17 avril 1940, regagne Harwitch, puis est basée à Dundee, en Ecosse, avec pour mission la surveillance de la mer du Nord.
Ce 20 mai 1940, alors qu’il rentrait sur Rosyth après une patrouille, le sous-marin "Achille", commandé par le LV Ernest Jean Michaud, est attaqué en surface par un bombardier anglais qui largue 5 bombes. Celui-ci aurait commis une erreur d’appréciation.
Gravement endommagé, le sous-marin est conduit à Brest où il arrivera le 29 mai 1940. Il entrera en carénage le 14 mai 1940.
Mais à cette date, les Allemands entrent dans Paris. Dès le 15 mai, leurs avions mouillent des mines magnétiques dans la rade et le port.
L’idée du «réduit breton» ne tiendra pas longtemps. Sur les quais de Laninon, on voit charger l’or de la banque de France. Le 17 juin le maréchal Pétain annonce qu’il va demander l’armistice.
Aussitôt, les navires anglais quittent Brest pour regagner Plymouth.
Le 18, les Allemands sont à Rennes, sans que rien ne semble pouvoir les arrêter.
Ordre est alors donné à tous les bâtiments en état de marche de quitter la Penfeld et le port de Brest pour Casablanca ou Plymouth au plus vite, alors que les attaques aériennes se succèdent sans discontinuer toute la journée.
L’"Achille" ne peut ni se déplacer par ses propres moyens, ni être remorqué. En aucun cas il ne doit tomber entre les mains de l’ennemi.
Décision est prise de le saborder.
Le temps est compté, trop sans doute pour que le sous-marin, déposé sur la ligne de tins, soit remis à flot, avant que l’on ouvre les vannes pour le couler.
Le LV Millé, commandant en second, fait appel à des volontaires pour effectuer le sabordage.
Il y aura six blessés, par explosifs, semble-t-il, et un mort, Jean Buatois, mort à bord du sous-marin lors du sabordage, poste 13 de l’arsenal maritime.
Il avait eu 20 ans le 27 août précédent.
Son décès est déclaré le 21 juin à la mairie de Brest.
Le neveu de Jean, aujourd’hui nonagénaire, se souvient encore de voir sa grand-mère s’effondrer à l’arrivée des gendarmes chargés de la prévenir. «Je l’ai vue vieillir de 10 ans», dit-il, revivant l’événement.
Le capitaine de vaisseau Le Normand, commandant la place de Brest, le cite le 12 septembre 1940 à l’ordre de la division, avec la mention suivante : «Buatois Jean, quartier-maître mécanicien du sous-marin Achille . Volontaire pour une mission dangereuse dans la nuit du 18 au 19 juin 1940, a déployé dans l’exécution de cette mission, un entrain et un mépris du danger remarquables. A été tué»
La médaille militaire lui a été attribuée à titre posthume.
La tombe de Jean Buatois se trouve à la nécropole nationale d’Auray, Morbihan.
Merci à Monsieur le Maire de Fraisans, à l’office du tourisme de Longuyon, à Nicolas Honecker (Mondelange), aux archives de Saint-Denis.
- Médaille Militaire
Achille
« Achille » était un sous-marin à double coque, dit de grande patrouille, de la classe « Redoutable ».Il faisait partie du programme naval n°86 et portait le symbole de coque Q147 tranche 1926. Il avait été mis sur cale à l’arsenal de Brest le 1er septembre 1928, mis à flot le 28 mai 1930, il avait été admis au service actif le 29 ju...