Pierre François Binet
est né le 17 avril 1906 à Lanvéoc (Finistère (29))
La famille Binet a ses origines dans la presqu’île de Crozon, langue de terre séparant la rade de Brest de la baie de Douarnenez, mais où la mer est toujours présente.
Son arrière-grand-père, François Marie était quartier-maître de manœuvre dans la Marine nationale : il décèdera prématurément à l’hôpital de Fort-de-France (Martinique) à 43 ans.
Avec son épouse Marie Josèphe Keraudren, dont le père était forgeron au lieu-dit Tal-ar-groas, ils habitaient en ce lieu sis dans la commune de Crozon, mais ce hameau est en fait tout aussi proche du bourg de la commune de Lanvéoc enclavée dans celle de Crozon. Ils eurent 8 enfants, dont Alain Marie, père de Pierre, canonnier de la Marine nationale, qui épousa Félicité Daniélou le 19 juin 1905.
Pierre fut ainsi l’aîné d’une fratrie de 4 enfants, dont : Jean Émile, né le 19 mai 1908, engagé lui aussi dans la Marine nationale après avoir fait "l’École des Mousses", Marcel, né en 1912, qui décèdera prématurément à Lorient alors qu’il avait tout juste 18 ans, et Paul Claude, né en 1914.
Après avoir suivi une scolarité classique pour l’époque à l’école de Lanvéoc, Pierre rejoint à 18 ans "l’École des apprentis marins de la Flotte" qui avait pour mission de préparer des jeunes gens à faire carrière dans le Corps des Équipages de la Flotte.
Le 1er octobre 1924, il embarque donc sur le bâtiment "Armorique" ancré en rade de Brest, et, après une période probatoire de 3 mois, signe, le 18 décembre, un engagement de 5 ans à compter de sa sortie de l’école qui intervient le 1er octobre 1925. Il est alors matelot de 3e classe et est désigné pour le croiseur cuirassé "Jeanne d’Arc" sur lequel il n’effectue qu’une seule campagne de 5 mois.
En effet, trois mois après son embarquement, il est promu quartier-maître, et ses qualités personnelles et professionnelles ayant été reconnues, il est sélectionné pour suivre le cours d’élève pilote de la Flotte, le "summum" en matière de navigation, et dont l‘enseignement théorique et pratique, était dispensé à l’époque en l’école établie à Saint-Servan, commune proche de Saint-Malo, mais qui n’en faisait pas encore partie.
De ce fait, Pierre embarque sur l’aviso "Ancre" le 1er avril 1926 et suit une longue période de formation visant à certifier des spécialistes destinés, par leurs connaissances approfondies du littoral et leur expérience acquises "sur le terrain", à être les conseillers des commandants de bâtiments en matière de navigation côtière et, tout particulièrement, "en eaux resserrées".
Au cours de cet embarquement, Pierre est promu au grade de second maître dans la spécialité de timonier (car il n’est encore qu’élève pilote), le 1er septembre 1927.
Mais lors de ce séjour à Saint-Servan, il a fait la connaissance de Fernande Russaouën : elle est la fille de Fernande Pottier et du maître Eugène Russaouën qui était, lui aussi pilote de la Flotte. Il avait été tué (et déclaré "Mort pour la France") le 20 mai 1917 au cours d’un engagement devant Nieuport (Belgique), entre le contre-torpilleur "Bouclier" et des destroyers allemands.
Ils se marient le 12 septembre 1929.
Un an plus tard, ayant obtenu le brevet de pilote de la Flotte le 1er septembre 1930, et paré du symbole des deux ancres croisées avec étoile d’or de chaque côté de l’encolure de la veste, Pierre prolonge de 2 ans son engagement dans la Marine nationale. Il est alors admis dans le Cadre de Maistrance (Corps des officiers mariniers de carrière), et désigné pour le contre-torpilleur "Lion" qui a pris armement à Lorient le 1er juillet 1929, mais n’a pas encore terminé ses essais au moment où Pierre le rallie, le 16 décembre 1930.
Le bâtiment sera admis au service actif le 5 février 1931 et intègrera alors la "4e Division Légère" (qui, avec le "Léopard" et le "Lynx" deviendra ultérieurement la "4e Division de Contre-Torpilleurs" de la "2e Escadre" basée à Brest).
Le 4 avril, c’est de Saint-Servan que vient la grande nouvelle : son épouse Fernande a donné le jour à une petite Monique (elle épousera plus tard un aviateur originaire de Ploudalmézeau (29) qui terminera sa carrière avec le grade de capitaine dans l’Armée de l’Air).
Mais le métier de marin est exigeant, et, fort heureusement, les épouses prennent plus que leur part à la vie de la famille. Le "Lion" repart en mer, et après des missions classiques d’entraînement individuel ou de groupe en Atlantique, il effectue, en compagnie du contre-torpilleur "Bison", une mission de représentation en mer Baltique avec, en particulier, une escale à Libau (Liepāja) le 12 juin pour une revue navale commémorant le dixième anniversaire de la création de la Marine lettone.
Dans le courant du mois d’août, le "Vauban" rejoindra la "4e Division Légère", et, avec le "Bison", ces bâtiments effectueront des missions le long des côtes du Maroc et en Méditerranée jusqu’à l’été 1932.
Et puis, le 12 décembre de cette même année, Pierre apprend la tragique disparition de son frère Jean-Émile, second maître timonier, lors du naufrage du "Chasseur 96", basé à Bizerte (Tunisie), au cours d’une violente tempête sur la côte algérienne.
À l’issue de son affectation sur le "Lion", en mars 1933, Pierre effectue un très bref passage sur "l’Ancre", à Saint-Servan, avant d’être désigné pour le contre-torpilleur "Chacal" le 17 octobre 1933.
Sur ce bâtiment il ne restera qu’un peu plus d’un an, et le seul événement marquant pour lui sera sa promotion au grade de maître le 1er juillet 1934.
Le 23 novembre 1934, il rallie le cuirassé "Provence", pour une affectation qui sera la plus longue de sa carrière : 2 ans et dix mois.
Initialement basés à Toulon, les cuirassés "Provence" et "Bretagne" (son sister-ship) ont bénéficié durant les années 1932/1933 d’une refonte à Brest, et, à l’issue, l’État-major de la Marine a décidé de les faire passer de la Méditerranée ("1re Escadre") à l’Atlantique ("2e Escadre"). Cette nouvelle organisation ne sera toutefois effective que durant l’été 1935, ce qui aura l’avantage pour la famille de Pierre d’avoir un peu de stabilité, car une nouvelle naissance, celle de Pierrette, est intervenue au foyer le 28 janvier 1935. Plus tard, elle sera historienne et chercheuse en histoire médiévale.
La "Provence", portant la marque du vice-amiral Darlan, et la "Bretagne" effectueront alors avec l’escadre de l’Atlantique plusieurs missions de présence et des manœuvres qui les mèneront dans l’archipel des Açores et à Madère, ainsi qu’au Maroc, où des relations cordiales seront établies entre le vice-amiral et le sultan Sidi Mohammed Ben Youssef (futur roi Muhammad V).
L’année suivante, le programme sera similaire, mais avec de plus, une escale significative de l’escadre à Dakar dont la durée sera prolongée pour la "Provence" afin qu’elle serve de bâtiment hôte au profit du cardinal Verdier, archevêque de Paris et légat du Pape, venu à bord du paquebot "Chella" de la "Compagnie Paquet", pour consacrer, le 2 février 1936, la toute nouvelle cathédrale "Notre Dame des Victoires" construite en hommage aux combattants africains. Elle est connue aujourd’hui sous le nom de cathédrale du "Souvenir africain" et une plaque portant l’inscription "À ses morts d’Afrique, la France reconnaissante" rappelle ce que nous leur devons.
Au retour, le cuirassé effectue un passage à Cherbourg pour inaugurer le tout nouveau quai de Normandie, et, après avoir regagné Brest, il assure les fonctions de bâtiment-hôte à l’occasion des cérémonies d’inauguration officielle, le 30 mai 1936, par le président de la République, monsieur Albert Lebrun, de la nouvelle École Navale établie (pour quelque temps seulement …) à Saint-Pierre-Quilbignon.
Entre-temps, le 20 janvier 1936, en reconnaissance des services qu’il a rendus, le maître Binet a été décoré de la Médaille militaire.
À partir de l’été 1936, la "Provence", comme de nombreux autres bâtiments, effectuera des missions de présence le long des côtes d’Espagne où la guerre civile a éclaté. Il s’agit de se prépositionner pour le cas où des ressortissants français seraient menacés, et ce type de missions durera jusqu’en avril 1937 alors que le vice-amiral Laborde a déjà remplacé, depuis le 1er janvier, le vice-amiral Darlan appelé à exercer les fonctions de chef d’État-major général de la Marine.
Le 1er octobre 1937, Pierre qui a une vocation d’instructeur, rallie l’École Navale où il restera pratiquement 10 mois, puis il fait un court séjour de 3 mois dans sa maison-mère sur "l’Ancre" avant de revenir à l’École Navale le 1er novembre 1938, à l’approche de la guerre.
Le 15 août 1939, naît à Brest son fils Jean-Paul qui ne connaîtra malheureusement que peu de temps son père.
En effet, à l’issue de l’avancée fulgurante des forces allemandes qui a déjà donné lieu, entre le 27 mai et le 4 juin 1940 à l’évacuation vers l’Angleterre d’une importante partie des troupes britanniques et françaises ("Opération Dynamo"), les divisions restantes se replient vers la Somme en direction de la presqu’île du Cotentin tout en combattant courageusement. Mais elles sont confrontées à la puissance de la force mécanisée de l’armée allemande et à sa vitesse de déploiement : elles se trouvent encerclées par l’ennemi. La seule solution pour éviter une catastrophe supplémentaire est de tenter une évacuation par la mer.
Côté français, une flottille composée de trois bâtiments principaux (le cargo requis "Granville", devenu croiseur auxiliaire après avoir été "militarisé" en mouilleur de mines, et deux annexes de l’École Navale, le "Président-Théodore-Tissier" et le "Notre-Dame-de-France") ainsi qu’une quarantaine de petits bâtiments, pour l’essentiel des bateaux de pêche du Sud-Finistère, appareillent de Brest le 10 juin à destination de Cherbourg.
Le "Granville", commandé par le lieutenant de vaisseau Maréchal, secondé par Pierre, et une vingtaine de pinasses arrivent au port le lendemain pour en repartir, dans l’urgence, le 12 au matin en direction de Saint-Valery-en-Caux, à l’ouest de Dieppe. Malheureusement, il ne leur a pas été signalé que les défenses côtières de la zone étaient tombées entre les mains des Allemands et que le général Rommel les avait renforcées par des éléments de la "7e Panzer Division" postés en particulier sur les hauteurs des falaises. À l’aube du 13 juin, le "Granville" s’approche sans méfiance particulière d’une zone qu’il croit toujours être entre les mains des alliés, et il est pris pour cible par un char.
L’équipe de quart à la passerelle, le commandant et le premier maitre pilote Pierre Binet sont parmi les premières victimes. Le bâtiment prend feu rapidement et, sans-doute à la suite de l’explosion des mines qu’il transportait, finit par se casser en deux et couler. Vingt-trois hommes, dont plusieurs instructeurs de l’École navale, sont morts ou portés disparus dans ce drame.
Il en sera malheureusement de même (et en raison du même manque de renseignements) pour le "Trainsferry n°2" venu de Southampton et pour le patrouilleur auxiliaire "Cérons".
Comme toutes ces victimes, Pierre sera cité à l’ordre de l’Armée de mer.
Son corps ne sera pas retrouvé ; une plaque en son nom est apposée sur le côté droit du caveau familial situé à Lanvéoc (tombe n° 272 de "l’ancien cimetière").
Le monument aux morts de Lambézellec (29), lieu de son dernier domicile, ne comporte pas de nom, mais une épitaphe qui se termine par cette phrase :
"…Passant, souviens-toi qu’ils ont fait le sacrifice de leur vie pour que tu vives dans un monde meilleur et fraternel".
Mais ce nom sera prochainement inscrit (2018) sur le Monument aux morts situé à l’entrée du cimetière de Lanvéoc (29).
Après ce drame, les enfants de Fernande et Pierre Binet ont été déclarés "adoptés par la Nation" (Jugement du Tribunal civil de 1re instance de Châteaulin du 27/05/1942)
Les élèves de l’école de pilotage ont longtemps entonné la chanson du "Mutin", ce côtre célèbre sur lequel ils ont commencé leur apprentissage à la mer. Ce qui est moins connu, c’est qu’on doit à Pierre Binet une version de cet air.
- Légion d'Honneur (chev.)
- Médaille Militaire
- Croix de Guerre 39-45 avec palme (s)
- Citation à l'Ordre de l'Armée de Mer
- Service Historique de la Défense de Brest
- Amicale des anciens pilotes de la Flotte
- « Rouen, Le Havre, Antifer, Ports de la Seine » - Amiral Lepotier
Granville
Le croiseur auxiliaire Granville est un ancien caboteur de la Société Havraise de Transport et de Transit (SHTT). Il avait été réquisitionné en 1939 par l'Etat français pour être transformé en bâtiment de guerre auxiliaire.
Le caboteur avait été construit en Grande-Bretagne, sur le fleuve Humber en amont de la ville de Hull, au chantier naval Cochrane & Sons de Selby. Mis à flot le 18 décembre 1929, il a été remis...