Jean Eugène Léon Lefèvre
est né le 30 mars 1906 à Hanoï (Vietnam)
Jean Eugène Lefèvre naît à Hanoï (Tonkin) alors que son père Emile Lefèvre, capitaine d'artillerie coloniale, chevalier de la Légion d'honneur, y est affecté. Son épouse, Gabrielle Bertin, l'a suivi dans ce lointain déplacement d’autant plus volontiers qu’ils retrouvent les lieux où ils se sont connus dans les années 1900 alors qu'Emile Lefèvre était aide-de-camp du père de son épouse, commandant de la brigade d'artillerie en Indochine. C'est donc dans une famille à la longue tradition militaire que voit le jour cet enfant, le deuxième du couple. Son père terminera sa carrière général de brigade, commandeur de la Légion d'honneur, tout comme ses grands-pères Rémy Lefèvre et Eugène Bertin. Il va suivre ses parents dans leurs différentes affectations. Au début mai 1912, la famille gagne Madagascar et échappe à un naufrage à bord du paquebot "Salazie" pris dans un cyclone. Par la suite son père est affecté à Coëtquidan, il a alors onze ans et entre au Prytanée militaire de la Flèche comme son père, école où la discipline est réputée pour sa sévérité. Ses résultats sont brillants, il fait donc deux années de « taupe », années difficiles s’il en est, qui lui permettent d'intégrer, en 1925, l'Ecole Polytechnique comme son grand-père maternel et son père.
Mais contrairement à eux, il choisit de poursuivre sa formation d'officier dans la marine à bord du navire-école "Jeanne d'Arc" en 1927 en tant qu'enseigne de vaisseau de 2e classe. Ce premier embarquement l'enchante et lui confirme qu'il a fait le bon choix, comme le révèle le carnet de bord qu'il rédige au cours de cette croisière d'application. Le 25 août 1928 il embarque sur le croiseur "Lamotte-Picquet" de la 1re escadre légère basée à Toulon, jusqu'au 9 juillet 1929, au service Manœuvre Navigation. Puis, c'est sur le torpilleur "Fougueux" basé à Lorient qu'il est promu enseigne de vaisseau de 1re classe. Il fait, à cette époque, la connaissance de Luce Viotte, fille de Camille Viotte, lieutenant-colonel, qui va devenir son épouse à Lunéville le 24 mars 1930. La jeune femme a dix-huit ans, un amour profond et passionné les liera jusqu’à la disparition de Jean Lefèvre. Il souhaite alors parfaire sa formation de torpilleur à "l'Ecole des officiers torpilleurs" de Toulon, formation qu'il complète en 1931 sur le cuirassé "Condorcet" bâtiment-école des torpilleurs qui se trouve également à Toulon. Il va mettre en pratique ses nouvelles compétences sur le croiseur "Colbert" de la 1re escadre de Toulon comme officier adjoint au chef du service Torpilles Electricité. C'est sur sa demande qu'en décembre 1931 il part, pour une durée de deux ans, sur le croiseur "Primauguet" qui appartient aux Forces Navales d'Extrême-Orient, "[Il] allait retrouver cette Asie dont [il] avait tant entendu parler et qui [le] fascinait.» Cette longue séparation sera difficile à vivre pour lui, pour sa jeune épouse qui reste en France avec sa petite fille Claude. Sa foi, dit-il, sera son seul secours. A cette époque, l'empire colonial français doit être défendu, particulièrement en Asie qui subit de nombreux bouleversements : Chine divisée entre nationalistes et communistes, ébauche de l'axe Berlin, Rome, Tokyo. Malgré la dureté de la séparation, il s'enchante des visites du Japon qui le séduit, Bali l'enchante, il retrouve des amis, des membres de sa famille au Tonkin et à Manille. Et puis c'est le retour tant attendu.
Depuis sa formation à l'Ecole Navale, il aspire à devenir sous-marinier. La France possède alors la troisième flotte sous-marine, elle compte 77 sous-marins et 29 en construction. Il intègre sur sa demande, le 1er juillet 1934, le centre des sous-marins de Toulon pour y acquérir une nouvelle spécialité. C'est là qu'il est promu lieutenant de vaisseau, le 7 novembre 1934. En 1935, sa formation terminée avec succès, il est commandant en second du sous-marin le "Vengeur". C'est à cette date que naît, Jean-François, le fils tant désiré. Jean Lefèvre va également embarquer sur le sous-marin "Le Redoutable" de la 7e D.S.M. basée à Toulon. En 1938, il reçoit son premier commandement sur le sous-marin "Thétis" de la 5e escadrille de Toulon. Ce bâtiment est destiné à la défense des côtes. L'Europe pressent que la seconde guerre mondiale menace malgré les efforts des différents gouvernements pour tenter de l'éviter. Début septembre, le bâtiment prend la mer pour effectuer des exercices en Méditerranée, puis subit une refonte durant une année à Toulon, cette période lui permet de voir grandir ses cinq enfants à «Mon repos», la propriété où il réside avec sa famille.
"Intelligence, droiture, obéissance, rigueur, ces qualités [le]caractérisent (…) [il] comptait parmi les officiers les plus écoutés, les plus aimés aussi." dit sa fille. Ses qualités de chef et d'homme sont reconnues: il reçoit la Légion d'honneur par décret du 9 septembre 1939.
Mais l'antisémitisme se déchaîne, Hitler multiplie les provocations, s'allie avec l'Italie et le Japon, Franco prend le pouvoir et écrase les républicains qui fuient la dictature. Devant le danger, Londres et Paris s'engagent par un pacte mutuel d'alliance en cas d'attaque de la Pologne. La France est divisée entre ceux qui veulent en découdre et ceux qui souhaitent la paix. Le 1er septembre 1939 les Allemands attaquent la Pologne, le 3 la France et l'Angleterre se résignent à déclarer la guerre à l'Allemagne.
Début 1940 les deux gouvernements décident d'intervenir en Norvège pour empêcher L'Allemagne de s'approvisionner en minerai de fer. Darlan accepte de détacher des sous-marins français des 12e, 13e, 16e divisions sous le commandement du vice-amiral britannique Horton. Jean Lefèvre quitte la maison le 1er février 1940. Après des exercices en Méditerranée, une escale à Brest, le sous-marin "Thétis" est basé à Harwick, base anglaise sur la mer du Nord et reçoit pour mission de surveiller les bâtiments ennemis
Le bâtiment multiplie les opérations en Mer du nord, le long des côtes de la Frise (Hollande) où l’on craint un débarquement de la Wehrmacht, mission dangereuse en raison de la présence de mines allemandes mais Jean Lefèvre se réjouit de mener ce combat. « Quelle vie excitante ! Ma chérie, écrit-il à son épouse, c’est vraiment passionnant comme atmosphère. » La pression allemande se fait de plus en plus grande, la Belgique est envahie, le Luxembourg et la Hollande aussi, les patrouilles, le long des côtes, se font plus longues et plus dangereuses. Jean Lefèvre qui vient d’avoir un fils, Bernard, est inquiet pour sa famille, d’autant qu’il apprend l’avance des Allemands en France et le bombardement de Marseille, Lyon et Toulon. Le "Thétis" quitte la Grande-Bretagne le 4 juin 1940, rejoint Brest et Jean Lefèvre peut voir sa famille en vacances à Larmor-Plage cependant le 18 juin les Allemands sont aux portes de Brest. Il envisage de partir au Canada mais la marine lui intime l’ordre de se diriger vers Casablanca dans l’espoir d’un transfert du gouvernement au Maroc. Le 25 juillet 1940, il reçoit la croix de guerre et son bâtiment est cité à l’ordre du groupe des sous-marins d'Afrique : "Le sous-marin "Thétis", sous le commandement du lieutenant de vaisseau Lefèvre, a vaillamment pris part aux opérations en mer du nord au cours desquelles, il a effectué près de 300 heures de plongée". L’armistice est signé alors que le sous-marin est à Casablanca. « Tragédie pour ces marins qui viennent de vivre des heures éprouvantes. A toute heure, ils risquaient leur vie, leur pays est vaincu, envahi, leur honneur bafoué. » Il fait le choix de suivre les ordres du gouvernement français dirigé par le maréchal Pétain. Le 3 juillet 1940, l’attaque par la marine britannique de l’escadre française qui mouille à Mers el Kébir (Algérie) porte un coup fatal à la marine. Jean Lefèvre n’admet pas ce qu’il considère comme une trahison entre alliés, cela le confirme dans son choix ce qui sera une source de conflit avec son épouse qui, vivant en France, est témoin des exactions allemandes. C’est une période trouble où les incidents franco-français se multiplient, un évènement le marque : la disparition du sous-marin "Persée" lors de la tentative des Anglos-gaullistes de prendre le contrôle de l’A.O.F. à Dakar. Il vient enfin en permission à « Mon repos » durant deux mois et demi, savourant le plaisir de vivre avec ses enfants. Du 24 février 1941 au 18 avril 1942, il embarque sur le croiseur "Georges Leygues" de la 4e escadre.
Le 20 juin 1942, il est affecté à la flottille des sous-marins du Maroc comme commandant du "Le Conquérant". Dans la nuit du 7 au 8 Novembre 1942, une force aéronavale américaine escortant de nombreux transports aborde par surprise la côte marocaine et entreprend des débarquements de vive force dans les secteurs de Port-Lyautey et de Safy. Le sous-marin se trouve sur le dock flottant en petit carénage. Les bâtiments français reçoivent l'ordre d'appareiller. "Le Conquérant" est rapidement remis à flot et échappe au premier bombardement mais dépourvu de torpilles, il ne peut participer aux opérations en rade de Casablanca. Il est attaqué et son périscope avarié. Les matelots qui servent la mitrailleuse sont blessés. Le soir, le commandant Lefèvre reçoit l'ordre de rallier Dakar bien que son bâtiment ne soit pas remis en état et qu'il n'ait pas été suffisamment ravitaillé en gazole. Le 9 novembre, à cinq heures, profitant de la nuit, il appareille mais navigue à vitesse réduite. Il est attendu à Dakar le 17 novembre. Il n'atteindra jamais ce port. Sans nouvelle du bâtiment, on le considère comme perdu ainsi que son équipage. Ce n'est qu'en 1948 que les archives de l'US Navy révèlent que le sous-marin navigant en surface, près de Villa Cisneros, malgré le pavillon français peint sur sa coque, a été grenadé par un Catalina de l'US Air Force le 13 novembre à 11h52, trois jours après le cessez-le-feu ordonné au Maroc. De terribles images de cette attaque et de la disparition du sous-marin existent. Les Catalinas sur place ne repèrent aucun naufragé. Jean Lefèvre meurt à l'âge de 36 ans, il laisse sept orphelins.
Par ordre n°146 SC/2 du 9 juillet 1942, l'équipage du sous-marin "Le Conquérant "a reçu la citation suivante à l'ordre de l'armée de Mer en ces termes : "Engagés à fond avec leur bâtiment contre les forces ennemies très supérieures, au cours des événements d'Afrique du Nord, en novembre1942, ont fait preuve d'un total esprit de sacrifice. Ont glorieusement au large au cours des opérations".
Le 10 décembre 1942, Jean Lefèvre est promu capitaine de corvette pour fait de guerre.
Cette biographie doit beaucoup à l’ouvrage de Mme Annick D’Hont, fille de Jean Lefèvre, paru en mai 2018, « Un cri sous-marin, le Conquérant dans la tourmente des années 40 ».
Elle explique ainsi la parution tardive de cet ouvrage « Meurtrie par ta disparition tragique, maman parlait de toi avec colère et ressentiment et c’est tout ce que j’ai retenu pendant ces très longues années où nous n’avions pas pu faire le deuil du mari, du père. Je partageais la même rage et la même violence. Nous nous sentions abandonnées. »
Mais elle ajoute : « Aujourd’hui je viens te remercier pour l’héritage que tu nous as transmis : soif d’infini, d’éternité, d’amour, de partage, joie d’accueillir, d’être accueilli, désir de recevoir l’instant, de rester présent à la vie. »
Son nom figure sur le monument aux morts de l'Ecole Polytechnique, sur le monument des sous-mariniers de Toulon.
- Légion d'Honneur (chev.)
- Croix de Guerre 39-45 avec palme (s)
- Citation à l'Ordre de l'Armée de Mer
Le Conquérant
Le sous-marin Le Conquérant fait partie d’une série de 31 sous-marins océaniques de grande patrouille, à double coque, de 1500 tonnes de déplacement. Ils sont entrés en service de 1931 (Redoutable) à 1939 (Sidi-Ferruch).
Construit aux Ateliers et Chantiers de la Loire à Saint-Nazaire, mis en chantier le 16 août 1930, lancé le 26 juin 1934, il a été admis en service actif le 7 septembre 1936 en étant armé à l’...