Pierre Marcel Tanneau
est né le 31 octobre 1924 à Treffiagat (Finistère (29))
La famille de Pierre Marcel Tanneau est originaire du Finistère-sud, de ce pays bigouden auquel la force sauvage de la mer a donné, de nos jours, un charme touristique indéniable, mais aussi forgé le caractère de ses habitants qui ont de tout temps connu des moments très difficiles et ont su réagir.
Le père de Pierre Marcel, Pierre Marie Tanneau, marin pêcheur, est né à Penmarc’h, plus précisément, au hameau de Kervédal situé à proximité au nord-est du port de pêche de Saint-Guénolé. Sa mère, née Marie Jeanne Stéphan, dont le père avait aussi la profession de marin-pêcheur, était native de Treffiagat. À son mariage le couple s'établit à Léchiagat, de l'autre côté de la ria du Steir : autant-dire que Pierre a passé toute sa jeunesse à proximité du Guilvinec, mais ce port n’avait pas, à ce moment-là, les infrastructures et donc l’importance qu’il a acquise par la suite.
Pierre eut une grande-sœur, Clémentine, de treize ans son aînée, mais elle décéda à 19 ans, le 4 avril 1930, alors qu’il n’avait que 5 ans et demi, et qu'une petite sœur, Antoinette, venait de naître 2 mois plus tôt.
Il effectue des études élémentaires jusqu’à obtenir la mention "sait lire et écrire" indispensable pour devenir inscrit maritime provisoire et de signer, avec l’accord de ses parents, cet engagement au quartier du Guilvinec ; car la tradition familiale, et surtout les possibilités locales, le portent tout naturellement vers le métier de marin-pêcheur.
À partir du 1er août 1939, il embarque comme mousse sur plusieurs bateaux pratiquant la petite pêche, celle qui ne dépasse pas les 24 heures. Il apprend ainsi le métier sur le "Revanche", le "Remplaçant" et le "Prends courage", puis, à partir du 24 novembre 1941, se perfectionne comme novice sur le malamok "Parmentier" avant d’acquérir le statut d’inscrit maritime définitif et de devenir matelot le 31 octobre 1942.
Il ne débarquera du "Parmentier" qu’en juin 1944, mais par la force des choses, car il est arrêté, semble-t-il sans trop comprendre pourquoi, par la "Gast" (Grenzaufsichstelle), cette douane militaire allemande qui attend les bateaux au retour de pêche pour vérifier leur cargaison.
Car le 3 septembre 1939, la France avait déclaré la guerre à l’Allemagne (à cette date, Pierre n’avait même pas encore 15 ans), et l’armée ennemie avait déferlé sur le pays pour atteindre Le Guilvinec à la fin mai 1940.
Après quatre années d'occupation, le débarquement de Normandie a lieu le 6 juin 1944, et à l’annonce de l’événement, les résistants locaux qui comprennent beaucoup de "F.T.P." (Francs-Tireurs et Partisants) s’enhardissent, surtout les jeunes. Des sabotages avaient déjà eu lieu qui avaient entraîné des réactions violentes de l'occupant, mais, ce 6 juin, ce sont deux soldats allemands qui collaient des affiches proclamant l'état de siège à Plomeur qui sont pris en otages.
Immédiatement, des rafles sont déclenchées par l’ennemi dans les communes voisines et elles atteignent Léchiagat-en-Treffiagat le 13 juin. Plusieurs jeunes, dont Pierre Tanneau, sont arrêtés et conduits à Pont- l’Abbé, où l’école des Frères enseignants de Saint-Gabriel sert aussi de caserne et de Kommandantur. Interrogés par la Gestapo, ils sont, quelques jours plus tard incarcérés à la prison Saint-Charles de Quimper avant d’être dirigés vers Compiègne où un "centre de tri" doit les aiguiller vers un camp de concentration situé en Allemagne ou en Pologne.
Le trajet en chemin de fer, dans des wagons à bestiaux, est terriblement éprouvant et dure une dizaine de jours ; car en raison du débarquement en Normandie les convois doivent passer plus au sud que d’habitude et sont souvent stoppés dans leur progression par des attaques de l’aviation alliée.
À l’arrivée à la gare de Margny-lès-Compiègne, les prisonniers, déjà épuisés, doivent traverser à pieds la ville et faire plusieurs kilomètres pour rejoindre l’ancienne abbaye de Royallieu qui avait servi d’hôpital militaire pendant la guerre 14-18, et dont la caserne avait été aménagée en lieu de transit et d’internement par les Allemands. Ce "Frontstalag 122" était ainsi devenu l’antichambre de la déportation.
Pierre y séjournera environ un mois, c’était la moyenne pour la durée des interrogatoires dans le "camp A" où l’on regroupait les prisonniers politiques ou des résistants, souvent des communistes (il y avait 3 camps, le "camp C" étant réservé aux Juifs qui n’avaient assurément pas le même traitement…).
Durant cette période, beaucoup de Bretons ont ensuite été acheminés vers le camp de concentration de Neuengamme, en périphérie de Hambourg : car pour protéger les sous-marins en construction contre les attaques aériennes, les Allemands avaient décidé d'ériger sur les bords de la Weser un énorme bunker, une sorte de "super" base sous-marine telle que celles de Brest où Lorient (mais en plus grand : elle devait faire 400 m de long) et connue sous le nom d’"Usine Valentin".
Compte tenu des dates, il est vraisemblable que Pierre ait fait partie de l’avant-dernier convoi qui soit parti de France en destination de Neuengamme : celui du 28 juillet 1944 qui comprenait, entre autres (voir nota), 52 finistériens arrêtés pour sabotage.
À leur arrivée, les déportés étaient conduits dans des "kommandos", ateliers annexes de travail forcé, où les conditions de vie étaient extrêmement pénibles.
Selon son acte de décès daté du 10 mars 1945, Pierre fut ainsi rattaché au kommando de Bremen-Farge qui œuvrait à l’érection du bunker "Valentin" et où le taux de mortalité était très élevé.
On ne sait pas encore de façon précise dans quelles circonstances il est décédé : mais le 4 mai 1945, lorsque les parachutistes de la "82e division aéroportée" américaine du général Gavin (qui devint après la guerre ambassadeur des États Unis en France) sont arrivés au camp de Neuengamme, il n’y avait plus personne et les lieux avaient été "nettoyés". Le 14 avril, l’ex-Reichfürer SS Heinrich Himmler qui sentait que la guerre était perdue pour l’Allemagne, et conscient sans-doute qu’il aurait des comptes à rendre, avait donné l’ordre d’évacuer le camp et de faire embarquer les prisonniers dans le port de Lubeck sur des bâtiments allemands, dont le paquebot "Cap Arcona" et le cargo "Thielbeck", dans l’intention de les acheminer vers la Suède, officiellement pour les remettre à la Croix rouge locale, en échange sans doute d’une certaine bienveillance ultérieure. Mais, compte tenu de la personnalité de l’individu, il n’est pas interdit de penser qu’il ait pu concocter un tout autre scénario quand les navires auraient gagné la haute mer !
Malheureusement, ce sont des avions britanniques, non informés de la présence à bord de ces déportés, qui bombardèrent les bâtiments, et 7300 de ces malheureux périrent dans cette tragédie.
Quoi qu’il en soit, Pierre Tanneau ne revint pas en son pays natal ; mais son nom figure sur le Monument aux Morts de Treffiagat, et une rue de la ville a été baptisée en son honneur.
Ce nom est également inscrit sur l’une des plaques apposées sur le "Mur des noms" à l’entrée du camp de Royallieu ; elles rappellent que 43553 êtres humains sont passés par ce lieu, et, pour beaucoup, sans espoir de retour.
Il existe aussi au cimetière du Père Lachaise à Paris (division 97) une stèle, mais en hommage aux victimes du camp de concentration de Neuengamme.
Les "anciens" de Treffiagat se demandent encore si ce petit gars de 20 ans, avec son visage d’adolescent, et qui avait dit à ses camarades d’infortune lorsqu’on les avait arrêtés "qu’il n’avait rien à craindre parce qu’il n’avait rien fait" était bien la personne que recherchaient la police allemande et la fraction de la police française qui collaborait. On ne l'imaginait pas en chef d’un réseau de résistants engagé dans des opérations de guerre.
Peut-être a-t-il été confondu avec un autre Pierre Tanneau qui, lui, était bien le chef des "F.T.P." locaux, mais qui, au moment des faits, se sentant menacé, s’était provisoirement "mis au vert" pour masquer ses activités en offrant ses services de journalier dans une ferme.
Après la guerre, ce Pierre Tanneau là revint à son métier de marin-pêcheur : il devint patron d’un bateau qu’il baptisa "Franc-Tireur". Un court métrage cinématographique évoque cette histoire, et la chanson titre du film, "Mon ami Pierre", est interprétée par un certain Yves Montand.
Nota : Dans ce même convoi du 28 juillet 1944, il y avait le capitaine de vaisseau Eugène Defforges qui, au cours de sa retraite sur l’île de la Jument dans le golfe du Morbihan, cachait des pilotes alliés et des réfractaires au "Service du Travail Obligatoire". Il finit par se faire prendre, et, le 30 mars 1944, fut conduit avec son épouse à la prison Jacques Cartier de Rennes. Il ne céda en rien sous la torture et fut condamné à la déportation, jugement qui le conduisit, lui aussi, à Royallieu puis à Neuengamme où, épuisé, il mourut le 8 février 1945. Il avait 66 ans.
- Service Historique de la Défense de Brest
- "Le Finistère dans la Guerre – 1939.1945" (G.M. Thomas et Alain Le Grand)
- Bulletin municipal n°4 de Treffiagat