Guy Roger Raulot
est né le 07 février 1923 à Chatonrupt (Haute-Marne (52))
La famille Raulot est originaire de Champagne-Ardenne, dans les environs de Chatonrupt (de nos jours Chatonrupt-Sommermont), village paisible d’environ 300 habitants situé à une trentaine de kilomètres au sud-sud-est de Saint-Dizier. Le pays a toujours été une région viticole, mais à une certaine période, plusieurs hivers rigoureux successifs ont été catastrophiques pour les viticulteurs dont le grand-père paternel de Guy faisait partie. Son père, Marcel, qui avait épousé Eugénie Perrot originaire, elle aussi, de Chatonrupt, dut s’orienter vers de nouveaux débouchés locaux pour faire vivre sa famille et fut embauché comme manouvrier dans une scierie.
En octobre 1925, Guy eut un premier petit frère, Marceau, qui malheureusement ne vécut que quinze jours, puis trois ans plus tard, un second frère auquel ses parents donnèrent le même prénom.
Après avoir suivi une scolarité classique pour l’époque à l’école de Chatonrupt, Guy, qui sans doute rêvait un peu de voyages, rejoint, à 15 ans et demi, avec bien sûr l’accord de ses parents, l’"École des Apprentis marins de la Flotte" qui avait pour mission de préparer des jeunes gens à faire carrière dans le Corps des Équipages de la Flotte. Mais comme il n’avait pas encore l’âge légal de l6 ans pour contracter un engagement, il effectue, comme élève, à partir du 5 octobre 1938, une période probatoire sur le vaisseau "Armorique" ancré en rade de Brest.
Six mois plus tard, le 24 mars 1939, il devient vraiment "Apprenti marin" en signant un engagement volontaire de 5 ans qui toutefois ne sera effectif qu’à compter de sa sortie de l’école.
Cette sortie intervient tout à fait normalement le 1er octobre (à noter que la déclaration de guerre à l’Allemagne a eu lieu le 2 septembre), et Guy n’a pas loin à aller pour rallier le cuirassé "Courbet" qui forme, à Brest, les futurs canonniers, spécialité qu’il a demandée.
À l’issue de ce cours, le 1er février 1940, il obtient le brevet élémentaire de canonnier, est nommé au grade de matelot de 2e classe, et reçoit sa première affectation opérationnelle : le croiseur "Tourville" basé à Toulon.
Mais le 1er février 1940, le bâtiment est en mer : flanqué des contre-torpilleurs "Aigle" et "Vauban", il a appareillé le 20 janvier et fait route vers Beyrouth (le Liban, à l’époque, était sous protectorat français) avec une cargaison de lingots d’or de la Banque de France, qui, une fois débarqués par la Marine en ce port sont acheminés par chemin de fer jusqu’à Ankara (la Turquie ayant affiché sa neutralité dans le conflit) afin d’être utilisés ultérieurement dans l’effort de guerre.
Guy avait donc dû bénéficier de quelques jours de permissions où de mise en subsistance dans une autre unité jusqu’au retour du croiseur à Toulon, le 7 février.
À cette époque, il ne faisait plus guère de doute que l’Italie entrerait en guerre aux côtés de l’Allemagne contre les alliés. Aussi la France et l’Angleterre unissent-elles leurs forces pour empêcher la marine du Duce de dominer la Méditerranée orientale. Une escadre française complémentaire, la "Force X" est créée dès avril 1940 : commandée par le vice-amiral Godfroy qui avait mis sa marque sur le croiseur "Duquesne", elle vient ainsi en soutien de la "Mediterranean Fleet" britannique commandée par le vice admiral Cunningham sur le cuirassé "Warspite". À partir du mois de mai ces escadres opéraient en coordination dans la zone, s’entraînaient mutuellement à la mer et entretenaient les meilleures relations quand elles faisaient escale en Egypte dans le port d’Alexandrie qui était devenu, en quelque sorte, leur base commune.
En juin, c’est la défaite de l’armée française, la débâcle, et le 22 juin la signature de l’armistice avec l’Allemagne. Mais la Marine est toujours intacte, et de peur qu’une flotte aussi puissante ne tombe entre les mains des Allemands, Churchill déclenche le 3 juillet l’"Opération Catapult" visant à désarmer les navires français où qu’ils se trouvent.
À Mers-el-Kébir, cela conduit à une tragédie, mais à Alexandrie, les amiraux Godfroy et Cunningham qui se respectent arrivent à conclure, sans d’ailleurs avoir vraiment obtenu l’accord formel de leurs autorités respectives, une sorte de "Gentlemen’s agreement" qui permet d’éviter le drame, mais en conséquence de quoi, la "Force X" restera ainsi neutralisée sur place pendant trois longues années.
Sur les bâtiments français, certains marins (peu nombreux il est vrai, au début) ne se satisfont pas de cet immobilisme de fait et veulent se battre pour leur pays, quitte à rejoindre l’Angleterre, même si celle-ci n’est plus en odeur de sainteté après ce qui vient de se passer à Oran.
Le propre aide de camp de l’amiral Godfroy, l’enseigne de vaisseau Honoré d’Estienne d’Orves, sera le moteur de ce premier groupe de "dissidents" ; il deviendra plus tard l’un des plus magnifiques héros de la résistance ce qui lui vaudra d’être fusillé par les Allemands au Mont Valérien, malgré l’intervention personnelle de l’amiral Darlan auprès d’Hitler. (voir biographie sur ce site).
Les autres officiers : le lieutenant de vaisseau Patou (futur chef d’état-major de la Marine), le lieutenant de vaisseau Burin des Rosiers (officier fusilier), l’enseigne de vaisseau Michaut (il était sur le "Surcouf" lors de la disparition du sous-marin), le commissaire de 1re classe Arnoulx de Pirey (il devint le chef du service commissariat des "Forces Navales.Françaises.Libres." ("F.N.F.L.") et l’enseigne de vaisseau Barberot (forte tête qui collait des tracts incitant à continuer le combat dans les coursives de son bâtiment, ce qui lui valut d’être mis aux arrêts de rigueur dans sa chambre dont il s’évada pour rejoindre les autres après une rocambolesque aventure, et qui devint bien plus tard ambassadeur de France en République centrafricaine puis en Uruguay) étaient tous du "Tourville".
Compte-tenu de la date de sa radiation des effectifs du "Tourville" (4 août 1940, date à partir de laquelle il avait été considéré comme déserteur), et de celle de son incorporation dans les "F.N.F.L." (25 novembre 1940), il est très vraisemblable que Guy ait fait partie de ce groupe de "dissidents" qui, outre les officiers mentionnés ci-dessus, comprenait, au tout début de ce mouvement, une vingtaine d’officiers mariniers, quartiers-maîtres et matelots, mais qui s’étoffera dans les jours suivants jusqu’à atteindre la cinquantaine de personnes provenant des unités militaires de la "Force X" mais aussi de bâtiments de commerce français englués dans la zone : ils s’étaient donné le nom de "Premier Groupe Marin".
Entre le 10 et le 18 juillet, permissionnaires d’un soir à Alexandrie, ils ne revinrent pas à bord de leurs bâtiments respectifs. S’étant donné rendez-vous au Caire pour se rassembler, ils gagnèrent par la route Ismaïlia, sur le canal de Suez, puis embarquèrent sur un cargo armé, l’"Antenor", qui les achemina jusqu’à Aden, en face de Djibouti.
Les intentions de d’Estienne d’Orves étaient de mettre son équipe à la disposition du général Gentilhomme, commandant supérieur des troupes de la Côte française des Somalis, avec lequel il était en contact : le général refusait clairement l’armistice en proclamant qu’il souhaitait le ralliement du territoire au chef de la France libre. Mais en arrivant à Aden, le groupe apprit que les édiles et une importante partie de la population du territoire n’avaient pas suivi le général et que Djibouti s’était soumis au gouvernement de Vichy.
Il était donc impératif de revoir les objectifs et, comme il était difficilement concevable de revenir en arrière, il fallait trouver le moyen de gagner l’Angleterre en contournant l’Afrique par le sud.
Après une dizaine de jours passés près d'Aden dans un camp d’entraînement de "Highlanders" (régiment d’élite écossais), le groupe embarque le 3 août sur le "Jehangir", un cargo habituellement destiné au transport de pèlerins musulmans, qui les conduit jusqu’à Mombassa (Kenya) où ils arrivent le 20. Ils en repartent le 26, sur un paquebot cette fois, l’"Incomati", en direction de Durban (Afrique du Sud) qu’ils atteignent le 3 septembre.
Trois jours plus tard, ils quittent Durban pour gagner Capetown (Le Cap) par le train. Enfin, le 11, ils appareillent sur un paquebot, l’"Arundel Castle" qui les transporte jusqu’en Angleterre après deux courtes escales aux îles de Sainte-Hélène et de l’Ascension.
Le 27 septembre 1940, après deux mois et demi de quasi errance, le "Premier Groupe Marin" est reçu à Londres par l’amiral Muselier auquel le général De Gaulle vient de donner pour mission la constitution des "F.N.F.L.". Et chacun se trouve alors orienté en fonction de ses capacités.
Pour Guy Raulot, une nouvelle aventure vient de commencer à Londres après une période d’adaptation où il lui faut se faire à un autre mode de vie et à la langue, il est incorporé, le 25 novembre 1940, dans les "F.N.F.L" Il a peut-être suivi ensuite un cours de formation de spécialité, car de canonnier, il est devenu fusilier.
Après quoi, il signe, le 4 février 1941, un acte d’engagement, qui se termine par ces termes, pour tous ces volontaires : "pour la durée des hostilités plus trois mois".
C’est une époque de fondation d’un embryon d’une nouvelle marine : l'amiral Muselier se bat afin d’incorporer des marins de tous grades pour armer des bâtiments qui, pour certains, ont rallié l’Angleterre mais dont les équipages se sont quelque peu délités à la suite des tragédies de Mers-el-Kébir et de Dakar, et pour d’autres, ont été "cédés" par la Royal Navy pour assurer des missions d’escorte de convois des navires marchands qui doivent transporter les matériels de guerre entre l’Amérique du Nord (Halifax au Canada principalement, tant que les U.S.A. resteront neutres) et la Grande-Bretagne. Et les corvettes, dites "Flower-class" en référence à leurs noms de fleurs, sont de ceux-là.
Le commandement de la première, le "Mimosa", fut confié, à Bristol, le 5 mai 1941 au capitaine de corvette Birot qui, à bord du torpilleur "Bouclier" venait de sortir de l’épreuve de Dunkerque ; il en assura l’armement puis l’entrainement à Tobermory (Ecosse) au début du mois de juin. Puis, à la mi-juin, le bâtiment fut affecté avec l’"Alysse" et le "Lobélia" aux "New Foundland Escort Forces" (Forces d’escorte basées à Saint-John’s de Terre-Neuve), pour une longue période consacrée presqu’exclusivement à la protection de convois entre le Canada et l’Islande (Reykjavik).
Guy embarque sur le "Mimosa" le 5 octobre 1941 à Halifax, le jour même où la corvette appareille avec 25 autres navires de guerre pour escorter en direction de l’est le convoi "SC 48" composé de 53 bâtiments marchands. Le 15, ce convoi sera harcelé par une meute de sous-marins allemands qui provoqueront la perte des cargos "Silver Cedar" et "Ila" ainsi que celle de la corvette H.M.S "Gladiolus".
Le "Mimosa" parviendra à recueillir, de nuit et par très mauvais temps, 35 rescapés des deux cargos et les ramènera à Reykjavik, avant de revenir à Terre-Neuve.
Le 11 novembre, le "Mimosa" et l’"Aconit", qui est venu renforcer le groupe de corvettes F.N.F.L., appareillent pour escorte du convoi "SC 54" en direction de l’Islande. Puis, arrivé à Hvalfjord, le24 novembre, le "Mimosa" embarque l’amiral Muselier et son état-major, car l’amiral a en tête un projet : le ralliement de Saint-Pierre-et-Miquelon à la France Libre.
Le 2 novembre, le "Mimosa" appareille vers Terre-Neuve, mais les très mauvaises conditions météorologiques freinent les opérations envisagées : après un court passage à Saint-John’s (Saint-Jean de Terre-Neuve) les corvettes se joignent à Halifax au sous-marin "Surcouf" le 12 décembre, et, après mise au point concernant la conduite à tenir, cette "force" appareillera le 22 pour "libérer" le jour de la Noël un territoire dont la population était très majoritairement acquise à la cause.
Le "Mimosa" restera alors basé à Saint-Pierre et assurera plusieurs missions de ravitaillement entre ce port et Terre-Neuve durant le mois de janvier 1942. Le 8 février, la "1re division des corvettes" est endeuillée par la perte de l’"Alysse" coulée le 8 par un sous-marin ennemi. Le "Mimosa" sera chargé de ramener les rescapés de Saint-John’s à Saint-Pierre. Puis, durant le mois de février, il effectuera deux rotations vers Halifax pour y débarquer plusieurs dizaines de jeunes Saint-Pierrais volontaires pour rejoindre le Royaume-Uni afin de combattre au sein des "Forces Françaises Libres".
Après quoi, le bâtiment reprendra les escortes de convois en Atlantique nord à une cadence infernale qui fera que les corvettes auront effectués à la fin de la guerre plus de 200 jours de mer par an.
Le reste du temps, il faut bien, en plus, entretenir ces navires qui, comme les équipages, souffrent énormément dans des conditions de mer particulièrement difficiles, et il est décidé, à la fin du mois de mai, qu’à l’issue d’une mission d’escorte, le "Mimosa" et l'"Aconit" carèneraient au Royaume-Uni, et non pas aux Etats-Unis, comme prévu initialement, mais pas avant le mois de juillet .
Mais les opérations sont prioritaires, et, le 3 juin, le convoi "ONS 100" comprenant 36 bâtiments de commerce appareille de Greenock sous la direction du destroyer canadien H.M.C.S. "Assiniboine" assisté par les deux corvettes françaises de service ainsi par deux corvettes britanniques (H.M.S. "Dianthus" et "Nasturthium".
De nuit, le silence radio est de règle pour ne pas attirer l’attention de l’ennemi et on le sait, les sous-marins attaquent souvent à l’aube quand la vigilance des veilleurs des bâtiments de surface est moins efficace. Le 9 juin, au matin, le "Mimosa" dont le poste était situé en arrière du convoi ne répond pas à l’appel du commodore. L’"Assiniboine" fait demi-tour et ne trouve que quatre hommes accrochés à un radeau de fortune. Quatre hommes sur les soixante-cinq qui composaient l’équipage, et qui, par leur témoignage pourront préciser les circonstances dans lesquelles le "Mimosa" a été torpillé par un sous-marin ennemi.
Le matelot Guy Raulot ne fait pas partie de ces rescapés.
Guy n’avait que 19 ans et il est vraisemblable qu’il n’avait pas pu donner de nouvelles à sa famille car depuis le 4 août 1940, il, était considéré comme déserteur, comme bien d’autres de ses camarades qui avaient décidé de continuer le combat : le 18 mars 1942, le Tribunal maritime de Toulon l’avait condamné "par défaut à dix ans d’emprisonnement pour désertion à l’étranger en temps de guerre", condamnation qui fut, bien plus tard annulée par la cour d’Aix le 9 avril 1945 ; mais à cette date, Guy était mort depuis 3 ans !.
Le nom de Guy Raulot, "Mort pour la Françe", est inscrit sur le Monument aux Morts de Chatonrupt-Sommermont ainsi que sur le Monument cantonal de Joinville-en-Champagne.
- Service Historique de la Défense (Toulon)
- Honoré d’Estienne d’Orves : pionnier de la Résistance ; papiers, carnets et lettres (Rose et Philippe Honoré d’Estienne d’Orves)
- L’aventure de la force X, escadre française de la Méditerranée orientale à Alexandrie : 1940-1943 (Robert-Emile Godfroy)
- Historique des FNFL (Emile Chaline)
Mimosa
Mimosa faisait partie d’une fameuse série de 9 corvettes, dite classe « Flower » car elles portaient toutes, à l’origine un nom de fleur, mises à la disposition des Forces Navales Françaises Libres par l’amirauté britannique. Mimosa fut la première corvette à être cédée, sans changer de nom, les autres corvettes étaient l’Alysse, l’Aconit