Frédéric Le Mouillour Mémorial national des marins morts pour la France
 
 
 
 
 

Paul Tourreil - Canot SNSM

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Le Paul Tourreil était un canot de sauvetage à avirons, mis en œuvre par la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés sur l'île d'Yeu. Construit en 1910 par les chantiers Augustin Normand du Havre, il mesurait 9,80 m de long, 2,60 m de large et était armé par un équipage de 12 hommes.

Il fait un froid exceptionnel ce 26 janvier 1917, lorsque le sémaphore de la pointe du But signale qu'il vient d'apercevoir une baleinière, avec sept hommes à son bord, à trois milles dans l'ouest de la pointe. Ces marins sont les rescapés du cargo norvégien Ymer, torpillé par un sous-marin allemand trois jours auparavant dans le golfe de Gascogne. A Port Joinville, Noé Devaud, le patron du canot de sauvetage, un solide gaillard de 53 ans, très alerte encore, bat aussitôt le rappel de ses hommes et fait mettre à l'eau le Paul Tourreil. Un équipage de 12 hommes: le patron, un sous-patron et 10 canotiers prêts à souquer ferme sur les avirons s'équipent pour porter secours à ces marins norvégiens en détresse. Il faudra néanmoins attendre 13h30 pour avoir une hauteur d'eau suffisante au Paul Tourreil lui permettant de glisser sur sa cale de lancement et se mettre en route vers la pointe nord de l'île.

Le vent souffle du sud-est, Noé Devaud fait hisser la voile et, après deux heures de route à l'ouest parvient à accoster la baleinière de l'Ymer. Les sauveteurs ogiens découvrent sept hommes épuisés et transis de froid, la moitié de l'équipage du vapeur norvégien. L'autre moitié avait pris place à bord d'une autre baleinière, les deux embarcations se sont ensuite perdues de vue, l'une dérivant vers le large, l'autre parvenant en vue des côtes de l'île d'Yeu.

Ils sont maintenant 19 hommes à bord du Paul Tourreil, 7 naufragés de l'Ymer pratiquement inanimés qu'il faut d'abord réconforter, et les 12 canotiers. Le Paul Tourreil se remet en route vers port Joinville. Hélas, le vent à fraîchi et les courants, devenus contraires à marée descendante, empêchent le canot de sauvetage d’avancer et le contraignent à mouiller au large de la pointe du But en attendant des conditions meilleures. Il est alors 17 h00 et le patron Devaud espère mettre à profit ce temps pour permettre à ses hommes de reprendre des forces en attendant la bascule de marée dans cinq heures.

Le vent continue cependant de fraîchir, et les hommes trempés par les embruns et immobiles sur leurs bancs, rames en mains commencent à souffrir du froid. Le sémaphore de la Pointe du But qui les observe de loin comprend la manœuvre du canot de sauvetage, et ne s'alarme pas.

A la dérive dans la tempête.

Cependant le courant augmente toujours, les vagues grossissent et le vent forcit encore alors que la nuit tombe. Le phare brasse maintenant de ses brusques éclairs tournants l'immensité de la mer et ses ombres mouvantes jusqu'à l'horizon. Le canot accroché à son filin et son équipage résistent à la houle de plus en plus forte, bousculés de tribord à bâbord dans la nuit sombre, quand survient un coup de vent glacial et cinglant avec le grésil qu'il transporte.

La fragile embarcation parvient à lutter deux heures encore contre les éléments. Soudain, dans une puissante secousse provoquée par les flots, le câble de l'ancre cède, sans doute usé par les frottements continus dans les bas-fonds rocheux. Les rameurs se remettent immédiatement aux avirons pour lutter contre la dérive. Mais la force du vent redouble, le courant atteint son maximum, les flots se creusent, la bruine tombe en verglas. Cela fait dix heures que les sauveteurs sont en mer. Certains n'ont pas mangé avant de partir, tous sont transis de froid. Ils continuent néanmoins de ramer, mais les éclairs intermittents du phare s'éloignent inexorablement. Ils sont entrainés par les courants vers le nord-ouest.

La grand voile et la misaine sont alors hissées dans l'espoir de pouvoir faire cap au nord sur Belle-Ile, car avec la mer qui a encore grossi et le vent qui souffle en tempête, ils savent tous qu'ils ne pourront pas regagner l'Ile d'Yeu.

Le canot est très chargé. Les paquets de mer se succèdent et l'eau ne parvient plus à s'évacuer correctement du fond du bateau. Un paquet de mer de côté éteint le fanal et vient infiltrer de l'eau dans le compas qui ne fonctionne plus.

La tempête grossit toujours. L'eau a complétement envahit la canot : les hommes ont de l'eau jusqu'aux cuisses. Il faut affaler les voiles, le vent souffle en violentes bourrasques et fait craindre un chavirage. Il faut mettre l'ancre flottante, une poche en toile, qui posée sur l'eau se gonfle au vent et maintient l'embarcation face aux vagues

Les hommes à l'agonie.

Cette nuit- là, il fera moins 15 degrés. Les forces des hommes s'amenuisent. Certains gémissent de froid et de fatigue, sans autres plaintes. Deux des Norvégiens dont c'est la troisième nuit en mer, et Adolphe Izacard, qui avait quitté son lit de malade pour s'embarquer comme volontaire meurent d'épuisement et de froid, sans dire mot.

Au matin, l'ancre flottante finit par être arrachée par la force des vents et des vagues écumantes, tandis que la neige commence à tomber. Avec les deux mats et un aviron fortement liés entre eux, les hommes fabriquent au plus vite une drôme, un cadre en bois placé à l'avant de l'embarcation, de manière à essayer de remplacer l'ancre flottante pour maintenir le canot face aux vagues et briser les lames qui frappent l'étrave. Ils parviennent à vider un peu le bateau de l'eau qui l'envahit. La neige tombe par rafales, le froid sévit, le soir revient et puis la nuit. Ils voient alors apparaître au Nord-Est les feux du phare de Belle-Ile, qu'ils estiment à quinze milles.

Il est minuit environ, lorsque deux des Norvégiens, à bout de résistance, expirent. Pierre Pelletier le brigadier à l'avant du bateau agonise. Les moins extenués démontent la drôme, pour replacer les mats et hisser à nouveau les voiles dans l'espoir de pouvoir se diriger vers Belle-Ile. La houle énorme dans la voile incline dangereusement le canot, qui se remplit à nouveau de l'eau amenée par les paquets de mer. Il faut rabattre la voile.

Pierre Pelletier, puis Armand Taraud meurent d'épuisement, tandis que Joseph Renaud semble agoniser à son tour. Un cinquième Norvégien commence à râler, et Pillet dit qu'il sent ses yeux se voiler.

Belle-Ile est maintenant à l'est, L'ile de Groix est plus au nord. Noé Devaud la main figée à la barre par la glace, compte devant lui déjà sept morts, dont trois des Norvégiens à ses pieds. Il songe un instant à passer les cadavres par-dessus bord pour alléger l'embarcation. Mais il pense qu'il s'est engagé dans cette action de sauvetage, pour arracher les naufragés à la mer. S'il ne peut les ramener vivants, au moins il refuse de les abandonner aux flots et décide de les garder à bord pour qu'ils soient inhumés aux côtés des marins-sauveteurs français.

La terre au troisième jour.

C'est le troisième jour. Le canot toujours poussé par les vents et la houle, passe à l'ouest de Groix, avant de trouver à l'horizon de bâbord les Glénans. Noé Devaud pense qu'en maintenant le cap au nord, il va pouvoir aborder l'embouchure de l'Aven. Joseph Renaud qui était passé à l'avant meurt la tête posée sur la lisse. Les survivants tentent à nouveau de mettre la voile, mais il faut y renoncer : la tempête est toujours trop forte.

Le jour revient, et avec lui, le vent faiblit, tandis que quelques rayons de soleil trouent les nuages. La côte se rapproche. Un cinquième Norvégien meurt. Le canot passe l'Ile Verte, que Noé Devaud sait déserte, et approche de l'Ilot de Raguénez. Là, Jean-Marie Marrec, seul exploitant agricole de l'île, aperçoit le canot en détresse, et lui fait signe d'aborder par le Nord-Ouest. C'est la fin du cauchemar.

Le premier à descendre est un des deux Norvégiens, le lieutenant de l'Ymer, qui grâce à ses vêtements imperméables a pu rester protégé du froid durant ces nuits mortelles. Surmontant son épuisement, il va chercher du secours sur la terre ferme à 600 mètres de là, tandis que Jean Marie Marrec tire le canot sur la grève. Noé Devaud descend du canot à son tour et aide ses camarades à sortir de l'embarcation. Les frères Pillet sont inanimés. Emile Pillet hissé par Jean Marie Marrec jusqu'à son logis succombe sur le seuil de la porte. Edmour, son frère malgré les soins qui lui seront prodigués, succombera à son tour douze heurs plus tard.

Le lendemain, les corps des neuf autres morts sont retirés de la carapace et du fond glacé du canot. Les cinq Norvégiens et les six français sont enterrés côte à côte dans le cimetière de Nevez, le bourg le plus proche de là.

Il y avait en fait 3 norvégiens, 1 suédois et 1 hollandais dont on vient récemment de découvrir l'identité, parmi les victimes du vapeur Ymer. Les corps des canotiers ogiens seront par la suite rapatriés sur l'île d'Yeu.

En 1972 le nouveau canot de la SNSM affecté à Yeu sera baptisé du nom de Noé Devaud, ce canot sera en service jusqu'en 2001.

Sources :

Sources : archives SNSM Ile d'Yeu – Jean-Michel Péault

photo : collection Jean-Michel Péault

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