Edouard CORVASCE
Né le 15 septembre 1922 à Marseille (Bouches-du-Rhône (13))
CH-5 - Carentan
La classe Chasseur 5 est le nom donné à une série de 17 petites unités de la marine nationale destinée à la lutte anti-sous-marine dite "chasseur de sous-marin", mise en chantier en 1938.
Le programme de 1937 avait prévu la construction d’un nouveau type de chasseurs de sous-marins à coque acier pour remplacer les vieux chasseurs américains de type C1...
Edouard Corvasce est né à Marseille le 15 septembre 1922. C’est le septième et dernier enfant de Savino, né à Barletta, dans les Pouilles, en Italie, et de Chiara Anelli, son épouse, également née à Barletta.
Cette ville, dont on trouve témoignage quatre siècles avant JC, est d’abord connue sous le nom de Bardulos, accusatif de Bardei, une tribu un peu batailleuse . Alliés à d’autres Illyriens, ils se seraient dressés contre Philippe de Macédoine, puis contre son fils Alexandre, au prix de plus de 7 000 morts. Les survivants auraient traversé l’Adriatique pour venir en terre apulienne.
C’est également dans la banlieue de Barletta qu’aurait eu lieu la fameuse bataille de Cannes, qui a vu en 216 avant JC l’armée d’Annibal Barca défaire la puissante armée romaine.
Ont ensuite défilé, attirés par la beauté et la position stratégique du lieu, Lombards, Sarrasins, Normands, Angevins, Espagnols, Bonapartistes, Bourbons d’Espagne… avant l’unité italienne qui fixe définitivement son appartenance à l’Italie.
Barletta appartient à un secteur essentiellement agricole et gourmand en main-d’oeuvre : oliveraies, activités œnologiques, manufactures de tabac, et industries textiles.
La scolarisation ne deviendra obligatoire pour tous qu’après 1945, et bien des enfants travaillent très jeunes, ce qui sera le cas de Savino et Chiara.
Savino est ouvrier agricole, Chiara couturière.
Nés la même année, ils deviennent très vite inséparables, en dépit des réticences de leurs familles respectives. Antonio, le père de Savino aurait les convictions de Peppone, alors que la famille Anelli compte parmi les siens une religieuse vaticane. On veut les éloigner ? Ils s’enfuient, et les familles s’inclinent face à la toute-puissance de leur amour.
En 1903 leur première née voit le jour à Barletta. Elle est baptisée Filomena, du nom de la maman de Savino, qu’il a perdue à 4 ans.
Naîtra ensuite Antonio, en 1905, à Barletta également.
La ville a plus de 40 000 habitants, et attire une population rurale en recherche d’emploi. A cette époque, les grands propriétaires terriens règnent en maîtres incontestés sur le territoire. Les «braccianti», journaliers qui louent à la journée la force de leurs bras, sont corvéables à merci, et le droit du travail inexistant. La famille choisit de gagner la France où se trouvent déjà un certain nombre de leurs compatriotes, espérant ainsi offrir à leurs enfants de meilleures conditions de vie.
En 1908 la famille accueille François, puis, en 1911, Vincent, au 27 de la rue Saint-Laurent à Marseille, une ville où un habitant sur quatre a des origines italiennes.
Située à proximité du Vieux-port, dans le quartier Saint-Jean, la rue Saint-Laurent fait partie du Panier, élément de la Massiglia antique, grecque puis romaine. C’est une zone particulièrement cosmopolite où se côtoient des communautés issues des différents pays méditerranéens dont beaucoup d’Italiens, souvent regroupés suivant les régions dont ils sont issus. La rue Saint-Laurent est le domaine des Apuliens.
La modernisation du port a permis l’accroissement du trafic portuaire, et la population ouvrière explose. Mais la construction de logements accessibles se fait attendre, et le quartier est surpeuplé. Ce premier logement se révèlera vite trop étroit, et c’est au 62 de la même rue que la famille accueillera sa seconde fille, Victorine, en 1916. Hélas ! L’enfant décèdera avant ses deux ans. Les témoins sont deux voisines, sans doute venues réconforter la maman.
Depuis le 3 août 1914, la France est en guerre contre l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie. Neutre dans un premier temps, l’Italie rejoint les alliés le 22 mai 1915.
Quoique soutien de famille, Savino choisit d’aller se battre aux côtés de ses compatriotes en Italie, ce qui explique son absence lors de la mort de l’enfant.
Il reviendra, mais blessé à la hanche.
L’année 1920 verra la naissance de Richard, puis, deux ans plus tard, celle d’Edouard.
A la naissance de l’enfant, la famille réside toujours à la même adresse, dans le quartier de l’Hôtel de ville. Les témoins sont des voisins et amis, Ricardo Roschetti, déjà parrain de Richard, et Cosimo Sardella, l’un et l’autre tonneliers.
Les conditions économiques ne sont pas toujours faciles, car l’activité portuaire est susceptible de variations, mais Edouard a une enfance heureuse : le petit dernier est très entouré, et ses frères lui porteront toujours la plus grande affection.
En 1929, à 7 ans, il aura hélas la douleur de perdre sa sœur aînée Filomena, son unique sœur, sans doute de suites de couches. Le recensement de 1931 mentionne en effet la présence au domicile familial de la rue Saint-Laurent de la petite Isabelle Alfonsi, née en 1929, et de son papa, l’époux de Filomena.
Comme ses frères avant lui, l’enfant fréquente l’école des Grands-Carmes, l’école italienne voisine où il nouera des amitiés indestructibles. Il retrouvera d’ailleurs à Londres l’un de ses camarades, Antoine Manera.
C’est seulement en 1936, grâce au Front populaire, que la scolarité devient obligatoire jusqu’à 14 ans, et l’enfant n’a que 13 ans lorsqu’il entre dans le monde du travail.
Comme ses frères aînés, il est attiré par la mer. Après un début à la petite pêche, il embarque sur des navires marchands, propriété de la Compagnie Générale Transatlantique. Il ne mesure qu’un mètre 40, encore, mais le mousse est partout. Il traverse régulièrement la Méditerranée, que ce soit à bord du paquebot "Ville d’Oran", qui transporte plus de 1 000 passagers de Marseille à Alger en 19 heures, ou du "Gouverneur Chanzy", qui a le même âge que lui et dont l’accastillage, dit-on, rivalise avec celui du "Titanic" : c’est à son bord qu’il aura 15 ans.
Il enchaîne avec le "Président Dal Piaz", du nom d’un Président de la compagnie, et le "Président Grévy", sister chip du "Gouverneur Chanzy", et navigue quel que soit le temps. Les passagers vont et viennent, de France, d’Espagne, d’Italie… de même que les marchandises, le vin par exemple cultivé en Algérie depuis le phylloxera et revendu à Marseille.
Entre deux embarquements pour l’Afrique du Nord, il repart pour la petite pêche, durant son temps de repos.
Entre novembre 1936 et mars 1939, l’adolescent aura passé au moins deux ans sur l’eau.
Après le "Gouverneur Chanzy", il repart le 15 mars 1939, à bord du paquebot "Gouverneur général de Gueydon", sur lequel il effectuera plusieurs embarquements, durant plus d’une année.
Il bénéficiera d’ailleurs durant cette période de 12 jours de Congés payés, les premiers de toute son existence.
Le jeune homme a été promu, il n’est plus mousse, mais novice.
Il quitte alors la Compagnie générale transatlantique pour les Messageries maritimes, qui sillonnent également la Méditerranée, et, par contrat avec l’État français, transportent le courrier des Postes françaises en même temps que les passagers. Les Messsageries maritimes ont, en plus des lignes régulières de Marseille vers Alger, Bizerte, Tunis, une ligne rapide vers Alexandrie, en Egypte.
C’est pour assurer cette liaison qu’Edouard embarquera à bord du paquebot "Athos II" le 26 mai 1940. L’"Athos II" transporte plus de 500 passagers, répartis en 3 classes. La première, la plus luxueuse, bénéficie de salons joliment décorés.
Edouard n’a encore que 17 ans, mais depuis ses premiers embarquements, la situation nationale a changé : depuis le 3 septembre 1939, la France et le Royaume-uni sont en guerre contre l’Allemagne du chancelier Hitler. Marins français et anglais patrouillent ensemble en Manche, et nouent des liens.
Mais en juin 1940, Pétain, qui a remplacé Paul Reynaud à la tête de l’État français, demande l’armistice, déclaré le 22 juin 1940. Aussitôt, des marins français gagnent l’Angleterre, ou y restent, désireux de continuer le combat contre l’envahisseur allemand. La création de la France libre leur permet de se regrouper.
Le 8 juillet, le LV Honoré Estienne d’Orves, officier d’ordonnance de l’amiral Godefroy, commandant la force X basée à Alexandrie, déserte pour poursuivre le combat, et est rejoint par l’EV Barberot, entre autres. Ils vont à la rencontre des équipages des différents bateaux français, pour les encourager à rejoindre le Premier Groupe marin, qui sera donc le socle des FNFL.
Le 16 juillet 1940, la route de Barberot rencontre celle de l’"Athos II", en escale à Alexandrie, et plus précisément celle d’Edouard Corvasce dit Corvasi. Il choisit de rejoindre la France libre, et de poursuivre le combat, ainsi que 4 de ses camarades, un Breton et trois Corses. L’un d’eux, le Corse Amati, fera partie avec lui de l’équipage du Chasseur 10 "Bayonne".
Considéré comme déserteur (le signalement a été fait assez rapidement aux autorités vichystes par l’agent général des Messageries maritimes, semble-t-il), il est condamné à six mois de prison, qu’il ne fera jamais, condamnation annulée à la fin de la guerre.
Dans un premier temps, le Premier Groupe marin s’entraîne au maniement des armes à Aden, puis rejoint l’Angleterre. Edouard, devenu matelot gabier, y fêtera ses 18 ans.
Ses frères Antoine et Vincent, résistants sur le sol français dans un premier temps, l’y rejoindront bientôt. Eux aussi sont marins de commerce, et la Marine marchande contribuera au développement des FNFL. De plus, avoir des origines italiennes expose à une surveillance accrue de la part des policiers français qui considèrent tout militantisme comme perturbation de l’ordre public, du gouvernement fasciste qui veut récupérer d’éventuels soldats, et parfois à des mouvements de xénophobie.
A la base de Cowes, Edouard embarque pour plus de deux ans, du 1/10/1940 au 1/01/1943 à bord du "Bayonne", ou Chasseur 10, mis à l’eau en 1938, saisi par les Anglais puis restitué aux FNFL qui l’arment. Ce navire léger, seulement 100 t, a effectué des missions d’accompagnement, et participé en 1942 au raid de Dieppe, tentative de débarquement en France occupée. L’opération se soldera par 1800 morts et de nombreux prisonniers, et sera présentée ensuite comme une préparation au débarquement de 1944, débarquement auquel participera le "Bayonne", en première ligne.
Edouard écrit régulièrement à ses frères, pour lesquels il s’inquiète dès qu’il reste sans nouvelles, ainsi qu’il le mentionne à plusieurs reprises «je m’inquiète, j’ai peur pour vous». «Chers frangins» est repris plusieurs fois dans la même lettre, témoignant de l’affection qu’il leur porte. En dépit des parties de football disputées avec d’autres FNFL, devenus des amis, comme le montrent les nombreuses photos des premiers FNFL, le temps lui semble long parfois, loin des siens, et la France lui manque, ainsi qu’il l’écrit à son frère Vincent le 3 septembre 1942 «je suis heureux d’avoir vu la France de près [...] après deux ans passés».
Il n’a pas tout-à-fait 20 ans, encore.
Il se préoccupe aussi de ceux qui sont restés sur le sol marseillais, parents et amis. Ainsi, le 2 février 1943 : «Chers frangins, en ce moment, je me trouve avec un très grand ami Antoine Manéra... La seule distraction que nous avons [ici] c’est de parler un peu de Marseille, de notre vieux quartier que [les Allemands] veulent nous démolir.»
Fin janvier 1943, les Allemands entrent en effet dans le quartier Saint-Jean, jugé trop multiculturel, trop résistant aussi, en évacuent les habitants, au nombre desquels Savino Corvasce et son épouse Chiara, et les parquent à Fréjus dans un ancien camp militaire. Une partie d’entre eux sera d’ailleurs déportée vers le camp d’Orienenbourg-Schauhausen.
Le quartier vidé sera complètement rasé, ses habitants dépouillés de ce qui était leur vie, et leurs enfants dépossédés de leurs racines.
Quoique sur le sol anglais, Edouard était donc déjà au courant des projets de destruction de son quartier natal.
La ville de Barletta, où Savino et Chiara ont encore leur famille, sera durement éprouvée durant la guerre de Libération. Après la destitution de Mussolini, en juillet 1943, et la signature du traité d’armistice avec les Alliés, elle est occupée par les troupes allemandes, auxquelles elle résiste vaillamment. Objet de représailles féroces et sanglantes, tant au niveau de la population civile que des militaires, elle recevra la médaille d’or du mérite civil (12-24 septembre 1943) et la médaille d’or de la valeur militaire (8-13 septembre 1943).
A cette date, Edouard a quitté le "Bayonne" et est inscrit au rôle d’équipage du Chasseur 5, le "Carentan".
Mis à l’eau en 1939, le navire a été saisi par les Anglais en 1940, pour être restitué officiellement aux FNFL en mars 1943, sous le commandement du Lieutenant Michel Pierre Sauvage. Le chasseur a pour fonction d’escorter les sous-marins de sortie en mer du Nord.
Ce 21 décembre 1943, en dépit d’une très forte tempête, le chasseur "Carentan" prend la mer pour accompagner le sous-marin "Rorqual". Trop léger, le "Carentan" est la proie des vagues immenses, et, malgré le sang-froid de l’équipage, coule aux abords de l’île de Wight, entraînant la mort de 18 marins. Six seulement survivront.
Edouard, porté disparu, n’avait que 21 ans.
En dépit de leur douleur, ses frères feront croire à leurs parents que, la guerre terminée, Edouard s’est lui aussi engagé dans la marine marchande, qu’il leur écrit.
La Croix-rouge n’a en effet pas réussi à joindre la famille, relogée à Allauch après la destruction de son quartier.
Mais un jour, un courrier de la famille, avec la nouvelle adresse, croise le dossier de la Croix-rouge, et, le 24 juin 1946, la famille reçoit officiellement le certificat de décès.
Chiara, la maman, n’y survivra pas, et décèdera quelques mois plus tard.
Edouard Corvasce dit Corvasi, membre du Premier Groupe marin FNFL a reçu à titre posthume la médaille de la résistance française le 31 mars 1947.
- Croix de Guerre 39-45 avec étoile (s)
- Médaille de la Résistance
- Citation à l'Ordre de l'Armée de l'Air



