Honoré Henri Louis d'Estienne d'Orves
est né le 03 juin 1901 à Verrière-le-Buisson (Essonne (91))
Le 30 août 1941, les Parisiens apprennent, par une affiche jaune bordée de noir placardée sur les murs de la capitale que, la veille, le comte Honoré, Louis, Henri d'Estienne d'Orves, condamné à mort par un tribunal allemand pour espionnage, a été fusillé en compagnie de ses lieutenants Maurice Barlier et Jan Doornick. Un de ceux qu'on appellera plus tard les Compagnons de la Libération vient de disparaître.
Honoré d'Estienne d'Orves est issu d'une longue lignée nobiliaire, les d'Estienne, famille d'origine provençale, du côté de son père et du côté maternel, de la famille de Vilmorin dont fait partie Louise de Vilmorin , dernière compagne d'André Malraux. Il est également cousin éloigné d'Antoine de Saint-Exupéry qu'il incitera à publier son premier roman. Il naît le 5 juin 1901 à Verrières le Buisson aujourd'hui dans l'Essonne dans une famille catholique et royaliste.
Brillant élève du Lycée Saint Louis de Gonzague, il passe son baccalauréat en 1917, fréquente la classe préparatoire du Lycée Louis le Grand puis intègre Polytechnique en 1921. A sa sortie en août 1923, il laisse à ses camarades le souvenir d'un jeune homme affable, spirituel et d'esprit curieux. Il choisit d'entrer à l'Ecole navale et participe à la dernière année de formation des aspirants à bord de la "Jeanne d'Arc "
Promu enseigne de vaisseau de 1re classe en 1925, il embarque à bord du cuirassé "Provence" de l'escadre de Méditerranée puis sur le croiseur-cuirassé "Jules Michelet" des forces navales d'Extrême- Orient. Il émet le vœu de se spécialiser et intègre, en 1928,"l'École des officiers torpilleurs" à Toulon. Une fois le brevet d'officier torpilleur acquis, il est affecté sur le cuirassé "Condorcet" à Toulon, la même année puis sur le croiseur "Suffren "de la 1re division légère à Brest jusqu'en 1931. Il est alors lieutenant de vaisseau. En 1929, il épouse à Pleugueneuc (Ille et Vilaine) Eliane de Lorgeril, elle-même issue de la vieille noblesse bretonne. De cette union naîtront cinq enfants, trois filles Marguerite, Monique et Rose et deux garçons, Marc et Philippe. Durant les deux années suivantes, il retrouve, comme instructeur, le croiseur-école "Jeanne d'Arc". En 1933, il gagne le ministère de la Marine à Paris au service de l'Inspection générale jusqu'en 1936. Le 11 janvier 1935, il est fait chevalier de la Légion d'Honneur. Lors de de la Conférence Navale de Londres il est Aide de camp du vice-amiral Robert, cela lui vaut un témoignage officiel de satisfaction. Il entre, pour une année, à l'Ecole de Guerre navale dont il sort breveté et diplômé du centre des Hautes Etudes Navales. Entre 1937 et 1939 il est nommé sous-chef d'état-major de la 2e flottille de torpilleurs sur le contre-torpilleur "Bison". Blessé à la main, lors de la collision entre le bâtiment et le "Georges Leygues" qui va faire dix-huit victimes, par décision ministérielle du 29 avril 1939, il reçoit de nouveau un témoignage officiel du ministre de la Marine "pour son dévouement, son calme et son sang- froid après l'accident survenu sur le "Bison" le 7 février 1939." .Ce bâtiment étant hors service, il occupe la même fonction sur le contre-torpilleur "Jaguar" puis sur le torpilleur "Cyclone".
Mais la seconde guerre mondiale éclate, d'Estienne d'Orves fait alors partie de la 2e division de croiseurs à bord du "Duquesne". En juin 1940, après l'attaque des Britanniques contre la flotte française à Mers el Kebir, le croiseur- amiral de la force X est immobilisé en rade d'Alexandrie. Le 10 juillet, d'Estienne d'Orves décide de partir pour Londres rejoindre le Général de Gaulle en laissant une lettre qui explique. à l'amiral Godfroy dont il est l'officier d'état-major, qu'il ne peut se faire à l'idée que sa patrie vaincue accepte la défaite. Il prend le nom de Chateauvieux et décide donc, avec sept officiers et une cinquantaine de marins, de rejoindre Londres après un périple interminable autour de l'Afrique. Arrivé dans la capitale britannique en septembre 1940, il est promu capitaine de corvette et nommé à la tête du 2e bureau des FNFL en remplacement du commandant Passy, de son vrai nom André Dewavrin , ce dernier juge d'Estienne d'Orves "plein de courage et d'abnégation , un véritable saint!" mais le trouve peu fait pour pour le service de renseignements parce que trop confiant. Capitaine de corvette, il commande d'abord le "Mistral" puis il est affecté à l'Amirauté britannique où il est chargé de développer le renseignement sur le territoire français à partir du réseau embryonnaire "Nemrod" qui avait vu le jour à l'initiative de Maurice Barlier, agent commercial et du néerlandais Jan Doorick.
Le 22 décembre 1940 il rejoint clandestinement la France à bord d'un bateau de pêche, le "Marie-Louise" à Plogoff (Finistère) face à l'île de Sein en compagnie de son radio Marty, muni d'un poste qui doit le relier à Londres. Il est chargé de réunir des renseignements sur les arsenaux et les bâtiments allemands. Il établit sa base à Nantes sous le nom de Keraudrun.et entreprend des déplacements qui le conduisent, à Lorient et dans toute la Bretagne. Il récolte une moisson de renseignements capitaux sur les défenses côtières allemandes, les sous-marins, les aérodromes, les dépôts d'essence. Du 6 au 19 janvier 1941 d'Estienne d'Orves se rend à Paris chez le peintre Lacasse dont le domicile doit être le point de ralliement du nouveau réseau qu'il vient créer. Mais les Clément lui signalent que Marty se montre imprudent, d'Estienne d'Orves envisage de le laisser à Londres lors d'un prochain voyage mais finalement lui accorde une seconde chance. Or, d'origine alsacienne, Marty est en fait un agent du contre-espionnage allemand du nom de Gaessler et durant l'absence de d'Estienne d'Orves, il l'a trahi. Le 22 janvier 1941, la Gestapo envahit le domicile des Clément, le commandant tente de résister mais il est arrêté, menotté et conduit avec ses compagnons à Nantes d'abord, puis il est incarcéré à Angers et à Brest. La trahison de Gaessler permet d'arrêter Barlier, Doornick et l'ensemble du réseau soit vingt-six personnes.
Six d'entre eux, les plus importants, vont être conduits à Berlin et internés à la prison du Moabit. Berlin se déclarant incompétent, ils sont de retour à Paris le 26 février à la prison du Cherche Midi. Lui est mis au secret, il en profite pour lire des œuvres classiques, médite et continue à rédiger son journal. Le procès du réseau qui va durer douze jours commence le 13 mai 1941. D'Estienne d'Orves prend sur lui toutes les responsabilités et défend ses coinculpés. Le 23 mai, le capitaine de frégate et huit de ses camarades sont condamnés à mort par le tribunal du Gross Paris et transférés à Fresnes. Il a tellement impressionné les juges par son courage, son attitude loyale que le président du tribunal signe son recours en grâce qui doit être présenté à Hitler en personne. Six résistants bénéficient d'une remise de peine. L'amiral Darlan tente en vain de sauver les condamnés mais le Führer refuse la grâce et ordonne l'exécution. En effet, à ce moment, Hitler envahit l'URSS, les communistes entrent dans la résistance, un militant communiste connu plus tard sous le nom de colonel Fabien abat le premier Allemand qu'il rencontre sur les quais du métro Barbès, l'aspirant Moser. La répression se durcit, dans le réseau Nemrod, les trois peines de mort qui frappent d'Estienne d'Orves, Barlier et Doornick sont confirmées.
Le 28 août il rédige trois lettres, une à l'abbé Stock, aumônier allemand qui l'a accompagné durant sa détention, une autre à son ami Paul Fontaine et la dernière à sa sœur Mme Catherine Régnier où il dit : "Que personne ne songe à me venger. Je ne désire que la paix dans la grandeur retrouvée de la France. Dites bien à tous que je meurs pour elle, pour sa liberté entière, et que j'espère que mon sacrifice lui servira.", à son épouse " Je veux que tu continues à mener notre vie courageuse auprès des enfants qui ont besoin de toi. Tu leur expliqueras ce que j'ai fait pour qu'ils sachent que leur papa n'a eu qu'un but, la grandeur de la France et qu'il y a consacré sa vie." Jusqu'au matin de son exécution il conserve sur lui une photo de son épouse et de ses cinq enfants au dos de laquelle il écrit: "À mes enfants chéris, je rends cette photo qui m'a rendu heureux pendant tout ce mois d'août 1941 et qui les a unis pour ma plus grande joie en face de moi; Papa".
A l'aube du 29 août 1941, un autocar vert de gris quitte la prison de Fresnes pour le Mont Valérien à Suresnes. A l'intérieur, les trois hommes assis sur leur cercueil, sous la garde des soldats allemands qui vont les fusiller. Les condamnés demandent de ne pas avoir les yeux bandés ni les poignets entravés. Ils reçoivent la bénédiction de l'aumônier allemand Stock. D'Estienne d'Orves s'approche du président Keyser qui l'a condamné à mort et lui déclare: "Monsieur, vous êtes officier allemand. Je suis officier français. Nous avons fait tous les deux notre devoir. Permettez-moi de vous embrasser." Quelques instants plus tard les condamnés sont criblés de balles. "Celui qui croyait au ciel" (Aragon) est inhumé à Verrières le Buisson. Il a 40 ans.
Par décret du 30 octobre 1944, le capitaine de frégate d'Estienne d'Orves reçoit la Croix de la Libération avec la citation suivante :" Officier supérieur d'une rare élévation morale dont l'enthousiasme et l'ardeur n'ont jamais fléchi. Dès l'été 1940, rejoint le Général de Gaulle, part volontairement pour une importante mission en France occupée. Capturé par l'ennemi, a payé de sa vie à la Caponnière du mont Valérien le 29 août 1941. Sa foi dans les destinées immortelles de la Patrie, donnant à l'heure même de son exécution une suprême leçon de grandeur. Paladin des Forces Française Libres, son nom demeure inscrit dans les plus glorieux fastes de la Marine française."
Son nom figure en de nombreux lieux où il est passé :
- Mémorial de la prison du Cherche-Midi
- Monument de la Résistance à Aix en Provence
- Monument aux morts d'Evenos , berceau de sa famille paternelle
- Monument aux morts de Verrières le Buisson
- Monument commémoratif de l'Ecole Polytechnique
- Sur la cloche du Mont-Valérien à Suresnes
- Une stèle commémorative existe dans le IXe arrondissement de Paris, square de la Trinité.
- Légion d'Honneur (chev.)
- Compagnon de la Libération